Tunisie : Le FMI va venir en aide au pays pour lutter contre le coronavirus pour 745 millions de $ mais à quel prix ? La Tunisie pourra-t-elle le supporter ? Analyse de Anis Moraï, universitaire et journaliste économique 
#Actualite #AnalyseEconomique #AvisDExperts #BuzzNews #Economie #Entreprises #Institutions #Politique #TUNISIE
Denys Bédarride
mercredi 29 avril 2020 Dernière mise à jour le Mercredi 29 Avril 2020 à 06:52

Après avoir suspendu, le 18 décembre 2019, un programme de coopération avec la Tunisie initié en 2015 et portant sur 2.9 milliards de dollars, à cause de réformes non engagées par le gouvernement tunisien, le Fonds monétaire international (FMI) vient de revenir à de meilleurs sentiments en débloquant 745 millions de dollars au profit de la Tunisie. 

 

Un montant qui s’inscrit dans le cadre de l’instrument de financement rapide (IFR), pour que le pays puisse faire face à l’épidémie du Covid-19. 

Prévoyant une contraction de l’économie tunisienne à -4.3% en 2020, le FMI a daigné décaisser 100% de la quote-part destinée à ce pays, pour répondre aux besoins notables de financement du budget et de la balance des paiements, estimés à 2,6 et 4,7 % du PIB, respectivement. 

Ce crédit, salvateur par ailleurs, pour un pays en manque de ressources pour financer son plan d’action visant à combattre le virus, qui est estimé à 850 millions de dollars, prélude d’un retour à la négociation d’un nouveau crédit que le FMI entend accorder à la Tunisie. 

Mais le Fonds fait déjà montrer ses exigences malgré le contexte morose d’une éventuelle sortie de crise : respecter les équilibres macro-économiques et ne déroger à aucune règle de la sacro-sainte orthodoxie financière néolibérale, tout en sommant la Tunisie à continuer d’engager les reformes convenues. 

Il s’agit notamment du dégraissement de la fonction publique qui est devenue un véritable Mammouth dans ce pays avec une masse salariale qui représente 16% du PIB, et réforme de la politique de compensation (produits de base, transport et hydrocarbures notamment ) qui coûte à l’Etat l’équivalent de 1.5 milliard de dollars annuellement. 

Pour ce faire, le Fonds, malgré le caractère exceptionnel de la crise sanitaire et son impact dévastateur sur l’économie tunisienne, reste attaché à ses exigences et refuse un assouplissement de la politique monétaire, en l’occurrence un nouvel abaissement du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT). 

Il refuse également que cette dernière soutienne le dinar, et ne veut pas entendre parler d’un financement du trésor par le concours direct de la BCT. 

Pourtant, la tenaille semble sur le point de s’abattre sur l’économie du pays, déjà fragilisé par des années de crise : baisse des recettes fiscales, financement budgétivore du plan d’action contre le Covid-19, et surtout le tarissement des réserves en devises à cause de la baisse des exportations et d’une saison touristique qui s’annonce catastrophique.

Si le but ultime recherché par le FMI est de juguler les velléités inflationnistes dans un pays à revenu intermédiaire, il n’en demeure pas moins que durant cette crise et vu l’impact désastreux qu’elle engendre sur les secteurs économiques, un traitement de choc doit être prodigué, de nature à rompre avec la recette traditionnelle du Fonds. 

Un traitement de choc qui mènera sûrement aux derniers retranchements et qui peut être même de nature à obliger les pouvoirs publics à recourir à des arbitrages douloureux. 

Hélas, pas d’illusions, ce n’est pas le son de cloche qu’on entendrait auprès du fonds, quand bien même la situation serait exceptionnelle ! 

– Laissez le dinar couler ! 

L’une des sommations majeures du FMI dans ses négociations d’octroyer le crédit à la Tunisie est certainement l’exigence de laisser le dinar se déprécier jusqu’à ce qu’il trouve un point d’équilibre reflétant la santé de l’économie tunisienne. 

C’est une politique menée depuis des années dont le but, selon le FMI, est de permettre à la Tunisie d’exporter plus et mieux. 

Une corrélation export/dépréciation du dinar qui s’avère être une chimère, puisque la balance commerciale connaît des déficits stratosphériques. 

L’incapacité de la Tunisie à exporter plus qu’elle n’importe se traduit plus par la faiblesse de la compétitivité de son économie que par la dépréciation de sa monnaie. 

D’ailleurs dans ce contexte, il est très significatif de jeter un coup d’œil sur les chiffres du commerce extérieur pour le mois de mars 2020 pour remarquer que l’export a reculé de 30%, alors que l’import a baissé de 27%. 

Ce dernier chiffre est particulièrement inquiétant, car en examinant la structure des importations, on remarque un net recul des produits semi-finis et des intrants en général. Des produits qui servent à créer de la valeur et qui aident dans l’export. 

Malgré ce constat amer, l’institution de Bretton-Woods n’accepte pas que la banque centrale intervienne sur le marché de change pour soutenir le dinar ce qui pourrait engendrer un cercle vicieux dont il sera difficile de sortir. 

Quid de la dette tunisienne dont les ¾ sont libellés en monnaie étrangère ? 

Pour cette considération, le Fonds estime que les solutions sont plutôt du côté des mesures d’accompagnement qui doivent être prises par le gouvernement, que du côté de la politique monétaire inadéquate pour intervenir en soutien de la monnaie locale, et que la dette explose ! 

Que les entreprises crèvent ! 

Le tissus économique tunisien est particulier et est constitué majoritairement de TPME. A en croire l’Institut national de statistiques, il y a en Tunisie, selon les chiffres de l’année 2017, 771 000 entreprises relevant du secteur privé réparties comme suit : 

87.69% sont des entreprises unipersonnelles, 

9.62% employant entre 1 et 5 salariés, 

2.57% employant entre 6 et 200 salariés et seulement 0.11% des entreprises qui emploient plus que 200 salariés. 

Ces chiffres démontrent que ce tissu économique est fragile et a souvent besoin d’un accès bancaire plutôt important. 

Or, en Tunisie, le loyer de l’argent coûte très cher si on compare ce même loyer négocié dans certains pays à zéro pourcent ou à un taux carrément négatif. 

En effet, pour juguler l’inflation, le taux directeur de la banque centrale était, avant que la pandémie ne se déclare à 7.75%, ce qui démontre clairement que les emprunts bancaires coûtent très cher et sont inaccessibles pour la plupart des entreprises. 

Ceci dit, je vous épargne les chiffres de l’inclusion financière, très bas, notamment, pour les opérateurs dans le secteur informel qui sont, de facto en marge de cette inclusion. 

Pour épargner aux entreprises, autant que faire se peut, l’impact de la baisse de l’activité économique, la Banque Centrale de Tunisie vient de baisser de 100 points de base son taux directeur, le ramenant, donc, à 6.75%. 

Une baisse saluée par la sphère économique qui convoite une baisse encore plus sensible d’au moins 200 points de base. 

Mais, c’est sans compter sur l’intransigeance du FMI qui ne permet pas que le taux d’intérêt effectif soit négatif, même en période de récession où les règles de l’orthodoxie financière connaissent une entorse dans la plupart des pays pour aider l’économie à se redresser après le KO du Covid- 19. 

L’on peut croire qu’avec un taux d’inflation à 6.2% au mois de mars 2020, la crainte est de revoir ce taux repartir à la hausse, mais il faut souligner aussi qu’un travail mené aussi bien par la BCT que par le gouvernement peut très bien juguler cette inflation malgré un taux directeur qui baisserait à 5.75%. 

Quoi ! La BCT finance directement le trésor : quel sacrilège !

Et pourtant, c’est ce que la banque centrale anglaise vient de faire. Dans l’antre de la finance ultralibérale, la Banque d’Angleterre (BoE) a décidé de recourir à un outil appelé “Ways and Means”. 

Elle offre au Trésor britannique qui dépend du ministère des Finances, la possibilité d’emprunter directement auprès d’elle. 

Le pragmatisme anglais est tel, qu’il porte une dérogation de taille à l’indépendance de la banque centrale anglaise afin de tempérer la tension sur les obligations britanniques et de pallier le manque d’appétit des investisseurs vis-à-vis des bons de trésor. 

En Tunisie, cette mesure, proposée par un bloc parlementaire dans des proportions raisonnables, a essuyé un refus catégorique de la part de la BCT, en raison justement du diktat du FMI, qui n’aura jamais accepté un tel recours, bien que la proposition parlementaire ait plafonné le financement du trésor à hauteur de 5% du PIB soit à 2 milliards de dollars. 

La crainte du recours à la planche à billet parait légitime, mais le plafonnement par rapport à un seuil particulier dans une période particulière et sous condition donnerait la possibilité à l’Etat de se financer directement, et sans passer par une anomalie du secteur financier qui consiste à ce que l’Etat se refinance auprès des banques, après que celles-ci ne se refinancent, à leur tour, auprès de la banque centrale. 

Une anomalie qui a engendré des situations perverses où les banques font souvent un arbitrage malheureux entre financer les operateurs économiques avec le risque encouru, ou financer l’Etat avec la garantie de ce dernier. 

De son côté, l’Etat, à cause de cette anomalie, paie le loyer d’argent très cher alors que les équilibres budgétaires connaissent un dérèglement structurel. 

Il est certes important de mentionner que chaque pays doit avoir les moyens de ses ambitions, et que l’économie de la Tunisie ne doit pas être assimilée à l’économie d’un pays du G7 ou du G20 qui se permet une politique monétaire expansionniste sans craindre une envolée de l’inflation. 

Cependant, un traitement de choc avec des interventions monétaires sporadiques et plafonnées pour fiancer directement le trésor pourrait sauver, un tant soit peu, l’économie tunisienne. 

Source Agence Anadolu 

 

Réagissez à cet article

Vos commentaires

Rejoignez la discussion

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *