17 décembre 2010, la révolution éclate en Tunisie, menant à la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier suivant. C’est alors la promesse d’un avenir meilleur pour le peuple tunisien. Pourtant, cette transition démocratique a connu bien des embûches. Quel bilan peut-on alors tirer de cette révolution du jasmin 8 ans après ?
Lors d’une séance plénière le 17 décembre dernier, dont l’ordre du jour a été modifié, les députés ont indiqué à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) que « faire le bilan de huit années de révolution suppose la présence du gouvernement afin de dire la vérité au peuple », appelant à ne pas « sous-estimer les sacrifices des Tunisiens ».
Ils se sont alors exprimés, précisant que « la révolution est le résultat de plusieurs combats qui ont fini par démanteler le système despotique », déclenchant des revendications toujours pas réalisées.
Pour Mongi Rahoui (bloc Front populaire), le gouvernement a choisi de soutenir certaines personnes au détriment du peuple, menant à la division de la Tunisie « entre ceux qui subissent la pauvreté et la marginalisation et ceux pour qui des articles de la loi de finances sont élaborés en leur faveur ».
Il appuie ses propos en parlant d’« assassinat des rêves du peuple ». Béchir Khélifi (bloc Ennahdha) a quant à lui souligné que « la révolution a eu lieu pour contrer la marginalisation, les disparités régionales et le règne des familles, seulement elle peine à réaliser ces revendications jusqu’à ce jour », tandis que Ghazi Chaouachi (bloc démocratique) a estimé que les gouvernements successifs sont « responsables de l’échec de la réalisation des objectifs de la révolution par manque de programmes clairs capables de changer la réalité des Tunisiens ».
Abdelaziz Kotti (bloc Nidaa Tounes) estime pour sa part que « la Tunisie a échoué dans la réalisation d’une révolution morale et économique pouvant épargner le peuple des menaces du terrorisme et du chômage ».
Lors de cette séance, le parlement a publié une déclaration afin de réaffirmer sa volonté de défendre les objectifs de la révolution, à savoir la liberté, la démocratie, l’emploi, le développement et la lutte contre la corruption.
Un vent d’optimisme souffle sur l’économie
Si les défis restent nombreux et que les améliorations semblent modestes, les mesures se multiplient pour que les Tunisiens constatent concrètement les résultats de la révolution. Après des années noires, un vent nouveau semble ainsi souffler sur le pays, à commencer par l’économie. D’ailleurs les prévisions de croissance sont plutôt optimistes, avec entre autres des exportations en constante hausse depuis 2010 (hausse de 5,5% en 2016 par rapport à l’année précédente) et une reprise notable du tourisme en Tunisie.
A fin novembre 2018, les arrivées touristiques en Tunisie ont progressé de 17,2%, par rapport à la même période de l’année dernière, atteignant 7,5 millions de touristes. Du jamais vu ! Les recettes touristiques, elles, ont carrément explosé, enregistrant une hausse de 40,5% par rapport à la même période de 2017. Le taux de chômage a, quant à lui, enregistré un léger recul puis une stabilisation, tout comme le niveau de pauvreté (20,5 % en 2010 VS 15,2 % en 2015).
Le droit des femmes a par ailleurs nettement évolué, notamment par la loi votée le 27 juillet dernier, promulguée par le Président Essebsi. Cette dernière porte sur l’ensemble des violences faites aux femmes, qu’il s’agisse des violences physiques, morales, sexuelles, mais aussi économiques et politiques.
Des modifications de loi ont également contribué au souhait de l’égalité Homme-Femme, au travers des articles 21 et 46 de la Constitution. Egalité de droits, notamment en matière d’héritage, mais aussi pour l’accès à des postes à responsabilité ou encore la parité dans les assemblées élues.
Le bilan vu par le peuple tunisien
En décembre 2017, SIGMA/KAS a publié un sondage exclusif présentant l’évaluation des Tunisiens quant aux conséquences de la révolution : « Enseignements de 7 ans de la révolution tunisienne, enjeux pour les années à venir ». Force est de constater que seuls 8% des sondés considèrent que la révolution est réussie et que ses objectifs ont été atteints, alors que pour 56% d’entre eux, elle n’a réalisé aucun objectif.
Plus inquiétant, 80% des Tunisiens trouvent qu’après 7 ans de révolution, la situation du pays va de pire en pis, et 91% pensent qu’elle n’a eu aucune conséquence positive en matière de création d’emplois et de taux de chômage.
Les autres chiffres sont révélateurs :
- 73% des sondés considèrent que la révolution n’a pas réussi à garantir la dignité ;
- 51% estiment que les conditions sociales s’amélioreront dans les 5 années qui viennent, tandis que 44% pensent qu’elles seront pires ;
- 74% expliquent que la situation financière de leur famille a empiré, et 15% affirment qu’elle s’est améliorée ;
- 93% constatent une réduction du niveau de vie et du pouvoir d’achat.
Quelques données positives ressortent tout de même de l’étude, à savoir que :
- 69% trouvent que la liberté a été acquise après la révolution ;
- 92% se rejoignent pour dire que la liberté d’expression constitue le principal acquis de la révolution ;
- 83% soulignent l’intégration des femmes dans la vie politique.
Les jeunes rongés par l’oisiveté et l’attente
Il existe un décalage entre les attentes des Tunisiens qui veulent voir opérer des changements avec un impact social fort, et les réponses apportées par les politiciens, se limitant au processus démocratique, politique ou constitutionnel. Les Tunisies ont patienté pendant les quatre premières années suivant la révolution en attendant d’avoir une Constitution et des institutions, mais aujourd’hui les jeunes ne veulent plus attendre.
La grogne envahi toute la Tunisie, mais elle est d’autant plus forte à l’intérieur du pays, dans les régions les plus défavorisées. C’est notamment le cas à Kasserine, dans le centre-ouest du pays, où un journaliste de 29 ans, Abdel Razzaq Zorgui, s’est récemment immolé par le feu pour dénoncer les conditions de vie délétères et la situation économique de sa région.
Sa mort a déclenché des violences dans les villes de Kasserine, Tebourba et Jbeniana. Depuis la révolution de 2011, plus de 200 personnes sont mortes des suites de leur auto-immolation par le feu.
Réagissez à cet article