Algérie : Le mouvement Hirak peut-il être à l'origine d'un nouveau discours sur la mémoire?
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Janos Fernandez
mardi 25 février 2020 Dernière mise à jour le Mardi 25 Février 2020 à 08:55

Suite à notre article sur le premier anniversaire du mouvement Hirak*, la rédaction vous propose un retour sur ce mouvement hors norme et notamment sur les réflexions qu’il a pu engendrer au sein de la communauté universitaire en sociologie ou en linguistique.

Nous nous sommes basés sur deux articles parus dans Le Monde du 22 février : « Le Hirak conteste l’Algérie nouvelle vantée par le régime » de Madjid Zerrouky  et « Le Hirak, source de réflexion pour l’Algérie » de Frédéric Bobin.

 

Un an après le début du mouvement, la population algérienne continue d’occuper la rue et malgré des essoufflements inévitables, le poumon démocratique ne semble pas disposé à s’arrêter de respirer…

Tout au plus observe-t-on un changement de rythme, une variation d’inspiration et d’expiration selon les mouvements de la police tel ou tel jour, chacun essayant de se constituer un espace entre aspirations de la foule et consignes officielles.

De son côté, le gouvernement d’Abdelmajid Tebboune tente d’assoir une légitimité contestée depuis son entrée au pouvoir.

Réitérant sa volonté de comprendre les aspirations de la rue, le président a déclaré le 22 février « Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie », chômée et rémunérée. Mais les algériens restent droits dans leur contestation notamment face à l’absence d’actions autour de la libération des détenus d’opinion, la liberté de réunion et de la presse. Malgré des libérations par dizaines, autant sont toujours emprisonnés et 1300 citoyens restent sous le coup d’enquêtes judiciaires.

La dichotomie entre les actes et les discours officiels et la réalité telle que perçue par la population continue de nourrir le mouvement et son refus d’anciennes pratiques maquillées par quelques actes propitiatoires censés apaiser la divinité Peuple.

Ainsi mêmes si quelques sites d’information ont été débloqués, les journalistes estiment que le harcèlement continue et que les médias officiels restent verrouillés.

La situation apparaît donc comme bloquée aux yeux du peuple et du gouvernement.

D’un côté, le discours d’Abdelmajid Tebboune n’apaise pas un peuple depuis trop longtemps habitué à une novlangue inventée et manipulée  par le gouvernement civil et militaire.

De l’autre les Algériens ne semblent pas prêts de céder « leur » printemps et d’accepter moins qu’une réforme totale d’une société sous contrôle depuis plus de cinquante ans.

Cette focalisation sur le discours a d’ailleurs éveillé la frange des universitaires et chercheurs en sciences sociales et linguistique qui ont créé le terme d’»Hirakologie», néologisme qui désigne « un discours raisonné sur un mouvement social qui mérite d’être analysé » pour Lazhari Rihani, professeur de linguistique et de philosophie du langage à l’université Alger-II.

L’objectif est ici de constituer une mémoire de l’Hirak, pour éviter la répétition du silence qui a entouré la lutte entre maquis et djihadistes dans les années 90.

Mais surtout, cette effervescence constitue une réponse au bridage des sciences sociales par un pouvoir qui a toujours donné la primauté aux connaissances scientifiques et techniques dans un monde universitaire au service du développement économique de la nation.

Il est d’ailleurs notable de remarquer que les rares recherches en sociologie étaient financés par des think tanks européens ou du Golfe Persique, avec un biais sur la sécurité ou les flux migratoires qui reflétaient les questionnements de ces derniers plutôt qu’un questionnement sur la société algérienne.

Ainsi Amil Boubekeur, sociologue affiliée à l’ EHESS et résidant à Alger estime que ces travaux ont plus d’une fois créé un « miroir déformant, véhiculant nombre de poncifs sur la jeunesse, la démocratie, les femmes, l’islamisme. C’était l’Algérie fantasmée ».

Le Hirak semble se constituer comme un vecteur de changement, par une facilité d’accès au terrain pour les jeunes chercheurs souvent connectés internationalement et donc ayant accès à une vision plus complète et détachée de la timidité de leurs aînés.

En s’immergeant dans le mouvement, les chercheurs et intellectuels algériens ont une perception directe et concrète de leur domaine de recherche. Reste à savoir si l’immersion est propice à une objectivité de la recherche. Mais là encore, cette question ne concerne-t-elle pas en priorité les statisticiens de la « vieille école »?

Mais là encore, ce mouvement a surpris par la mise en place de liens transnationaux au sein d’un Maghreb traditionnellement éclaté. Pour exemple, à Tunis une rencontre organisée en avril 2019 a permis à des chercheurs maghrébins de croiser les points de vue sur le phénomène.

On peut au final observer une montée de l’intérêt pour l’Hirak alimentée par l’enthousiasme universitaire local. Et si l’hirakologie reste encore une discipline en construction elle commence à générer ouvrages et recherches tout en constituant une mémoire pour le peuple qui y participe.

Découvrez notre premier article sur le Hirak

 

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