Le Liban est confronté à la plus grave crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990), entraînant un effondrement financier sans précédent.
Le vice-Premier ministre, Saadé Chami a été clair : “l’État et la Banque du Liban (BDL) sont en faillite”. Il a utilisé le mot « faillite » car il a estimé que les pertes, estimées à 72 milliards de dollars, devraient être réparties entre « les acteurs concernés » (l’État, la BDL, le secteur bancaire et les déposants), sans rentrer dans le détail de la répartition.
Selon l´économiste Mathieu Plane, “pour un pays, on parle de défaut de paiement, parce que contrairement à une entreprise, il n’y aura pas de liquidation judiciaire. Ce défaut de paiement intervient lorsque le pays ne peut plus rembourser sa dette, partiellement ou intégralement”. Lorsque la dette d’un pays n’est plus soutenable, comme au Liban, c´est parce que la croissance est insuffisante pour payer les intérêts de la dette.
Le seuil est différent pour chaque pays et dépend souvent de la manière dont est structurée la dette. Les conséquences sont graves puisque l’insolvabilité de l’État engendre le plus souvent un dysfonctionnement du système bancaire national, des dévaluations monétaires et le défaut de paiement des salaires des fonctionnaires.
L’État libanais est confronté à des difficultés intérieures et nécessite l’intervention d’acteurs extérieurs. Lesquels ? De quelle manière ?
Anton Brender, directeur des Etudes économiques de Candriam Investors Group, explique que la gestion se fait au cas par cas pour les Etats en défaut de paiement car « on parle du remboursement des dettes mais il y a parfois des pays qui n’ont juste plus aucun argent dans leurs caisses, ne serait-ce que pour acheter des médicaments ou des produits alimentaires ».
Un appauvrissement généralisé
Depuis 2019, la population libanaise a plongé dans un appauvrissement généralisé. Adib Nehmé, consultant sur les questions de développement au sein de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (Escwa) basée à Beyrouth, considère que, sans de profondes réformes politiques, la crise actuelle risque de devenir structurelle.
Selon cette instance onusienne, 82 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. En 1998, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) parlait de 32 % et en 2005, plus que 25 %.
Selon la Banque mondiale, la contraction du PIB/habitant fut de 40 % et de 20,3 % du PIB en 2020, le chômage atteignant plus de 40 %.
La dette publique, elle, dépassait les 400 % du PIB ce qui entraina en mars 2020, le défaut de paiement sur la dette publique. Depuis, les Libanais ne voient pas le bout du tunnel avec inflation, devaluation de la monnaie et crise bancaire. Depuis près de deux ans, les banques ont imposé des plafonds et des restrictions concernant les retraits des déposants en devises étrangères, en particulier le dollar.
Cette crise trouve ses origines dans le modèle choisi dans les années 1990/2000 avec une financiarisation extrême. Le financement de l’économie réelle reposait sur l´augmentation de la dette publique. Cette dernière étant détenue par des banques privées. Le secteur agricole a été mis de côté, ce qui engendre une dépendance immense car 80 % des denrées alimentaires sont importées. La « bancocratie » libanaise a fortifié les liens entre les grandes familles de la vie politique et les élites financières.
Un plan d’aide du FMI
Le FMI a annoncé la semaine dernière être arrivé à un accord avec le gouvernement libanais pour une aide de trois milliards de dollars sur quatre ans. Les dirigeants “ont convenu d’entreprendre plusieurs réformes essentielles avant la réunion du conseil d’administration du FMI” auquel sera soumis pour approbation le plan d´aide. Le gouvernenment doit notamment faire adopter par le Parlement un texte visant à restructurer le secteur bancaire et à “relancer le processus de rétablissement du secteur financier, qui est fondamental pour soutenir la croissance”, selon le FMI.
Le secret bancaire est en ligne de mire afin de lutter contre la corruption. Nasser Saïdi, un ancien vice-gouverneur de la Banque centrale du Liban, s´est montré sceptique sur Twitter : “c’est une bonne nouvelle si les réformes monétaires-budgétaires-structurelle et en matière de gouvernance sont menées. Très improbable!”.
En mai 2020, l’Association des banques du Liban (ABL), avait appelé à la création d’un « fonds de désendettement » dans lequel les actifs de l’État, estimés à 40 milliards de dollars, seraient placés pour régler les pertes du système bancaire. Une demande réitérée par l’ancien ministre Mohammad Choucair, aujourd´hui représentant patronal, lors de la réunion avec le FMI.
Albert Kostanian, chercheur à l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques de l’Université américaine de Beyrouth, considère que cela serait insuffisant car la privatisation des biens publics générerait seulement 5 à 13 milliards de dollars. Nous sommes loin des 40 milliards estimés par les banques. Il y a aussi l´or. La Banque centrale possède des réserves estimées à 17 milliards de dollars mais elle ne peut pas en disposer sans approbation du Parlement. Enfin, le projet de contrôle des capitaux devra montrer son efficacité car il en va de la crédibilité de l´Etat libanais.
Restructuration de la dette
La restructuration de la dette est nécessaire mais complexe. Les remboursements seront rééchelonnés et certaines créances peut être effacées. Anton Breder explique très bien que « c’est d’ailleurs l’intérêt du prêteur, parce qu’il n’y a rien de pire pour lui qu’un pays qui lui fasse défaut complètement ».
Les élections, prévues le 15 mai, pourraient bien entendu avoir un impact sur les réformes à mettre en place et la stratégie de sortie de crise. Mais sans réforme politique profonde et une refonte du système, il semble difficile de croire à une amélioration économique. Les réformes financières risquent d´être bloqués en amont ou en aval par des acteurs politiques qui voudront protéger leurs intérêts particuliers au détriment de l´intérêt national.
Source Agence Anadolu
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