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Denys Bédarride
mercredi 29 décembre 2021 Dernière mise à jour le Mercredi 29 Décembre 2021 à 10:20

Par sa structure et les services qu’il offre, le système bancaire libyen reflète à la fois la dépendance quasi-totale de l’économie du pays à la production de pétrole et l’omniprésence de l’Etat. 

Servant avant tout à recueillir les revenus pétroliers et les salaires des employés d’un secteur public hypertrophié, il s’est peu développé, n’a pas innové et souffre d’un déficit de confiance auprès des acteurs économiques, en Libye comme à l’étranger. Encore plus fragilisé aujourd’hui, dans un contexte de crise politique, sanitaire et économique, le secteur bancaire libyen devra faire l’objet de réformes et d’efforts de modernisation significatifs pour pouvoir accompagner la reconstruction du pays.

Le système bancaire libyen est, depuis longtemps, peu développé, peu performant et dominé par le secteur public.

Selon l’étude publiée en février 2020 par la Banque Mondiale, le système bancaire libyen se compose des deux branches de la Banque Centrale de Libye (BCL), de 19 banques commerciales, et de 4 banques spécialisées (Agricultural Bank, Savings and Real Estate Investment Bank, Development Bank and RIFI Bank).

La Banque centrale libyenne est à la fois l’organisme de régulation du secteur bancaire et l’actionnaire unique ou majoritaire de six banques commerciales. 

Ces banques détiennent 90% des dépôts et des prêts de l’ensemble du système bancaire. La Banque centrale agit aussi comme banque commerciale à certaines occasions. Elle émet des lettres de crédit et prend des engagements sur certaines entreprises d’Etat. Le cumul des prérogatives de la Banque centrale est problématique : il favorise les conflits d’intérêts (laisser-faire qui profiterait aux banques publiques, octroi de crédits à des bénéficiaires pourvus d’entregent, etc.). Les mécanismes de régulation de l’institution sont défaillants.

Il n’existe aucune notation des banques, les banquiers ne sont pas tenus d’une obligation de vigilance et les dispositifs de transparence ne sont pas appliqués en bonne et due forme. Ces manquements sont une des principales causes de l’isolement international du secteur bancaire libyen.

Bien qu’affichant globalement un niveau d’actifs élevé et une forte pénétration du marché, les banques commerciales ne sont pas en mesure de développer les services bancaires requis par les acteurs économiques du pays. 

Employant près de 20 000 collaborateurs, mais disposant d’un réseau peu étendu (520 agences en 2016), les banques commerciales se targuent de contribuer au niveau élevé de l’inclusion financière en Libye (en 2017, 66% des adultes disposaient d’un compte bancaire, contre 37% en Tunisie ou 29% au Maroc). 

Mais ce score résulte essentiellement du nombre important de comptes ouverts par les banques contrôlées par l’Etat au profit des agents publics (plus de 80% de la population active) pour y recueillir leur salaire et n’offrant que peu de services. 

En matière de capitalisation, le secteur bancaire semble progresser, avec une valeur d’actifs estimée à 115,8 Mds LYD en 2019 (en croissance de 28,4% sur 4 ans). Mais ces montants, en l’absence d’audit, paraissent fortement surestimés et incluent de nombreuses créances douteuses, notamment auprès des entreprises d’Etat. Si l’argent semble disponible en Libye, il est peu mobilisable et l’accompagnement des entreprises par les banques libyennes reste timide (et quasi inexistant pour les PME en dépit d’un programme d’assistance technique d’Expertise France pour créer dans chaque banque une direction en charge des PME. 

Elles ne possèdent ni les informations (absence de registre des faillites permettant de vérifier la fiabilité d’un emprunteur, ou de cadastre pour identifier terrains et immeubles à prendre en gage), ni les capacités suffisantes pour prendre des décisions de crédit éclairées. L’essentiel de l’activité des banques commerciales libyennes consiste donc à émettre des lettres de crédit pour les importateurs.

L’implication des banques étrangères est très limitée. 

En développant leurs activités en Libye, elles s’exposent à un risque politique significatif auquel s’ajoute un risque opérationnel (manque de formation des agents du secteur), financier et de réputation (soupçons de non- respect des sanctions internationales). En dépit de ces risques, certaines banques italiennes, espagnoles et allemandes continuent d’opérer avec les acteurs économiques libyens. 

Le secteur est aujourd’hui fragilisé par la division du pays. La grave crise qui a conduit à la guerre civile et à la division du pays n’a pas épargné le secteur bancaire. 

La partition en 2016 entre le gouvernement reconnu par la communauté internationale de Fayez al Sarraj, à Tripoli, et celui du général Haftar à l’est du pays s’est également appliquée à l’institution bancaire centrale. Deux instances se sont partagé les prérogatives de la Banque centrale : la BCL de Tripoli qui relève du gouvernement d’unité nationale, reconnu par l’ONU et la branche de l’est, implantée à Bayda qui dépend du gouvernement du général Haftar. 

Cette scission a mis à mal les politiques monétaire et budgétaire du pays : les deux banques centrales émettent de la monnaie sans se coordonner. Plus de la moitié (46 des 88 Mds LYD) des dépôts des banques commerciales et entreprises publiques à la banque centrale sont détenues par la branche de Bayda. 

Son bilan atteignait au total 63 Mds LYD en juin 2020, en grande partie utilisés pour financer le budget du gouvernement intérimaire de l’est. En 2020 l’ONU a lancé, à la demande de Fayez Al-Sarraj, un audit indépendant des deux branches de la banque centrale. Il a pour objectif de restaurer l’intégrité, la transparence et la confiance dans le système financier libyen et de créer les conditions d’unification des institutions financières libyennes. 

Le rapport d’audit, présenté au gouvernement le 8 juillet 2021, fait état d’un bilan total de la banque centrale de Tripoli de 196 Mds LYD en juin 2020 (+ 22% par rapport à septembre 2014), d’un doublement de la monnaie en circulation à 39 Mds LYD, et d’une légère baisse de 10% des réserves de change à 103 Mds LYD. 

Ces réserves servent pour l’essentiel à fournir les ménages en devises et financer les importations via l’octroi de lettres de crédits. Les crédits faits au budget de l’Etat ont plus que triplé pour atteindre 71 Mds LYD pour pallier le déclin des ressources pétrolières.

Le secteur bancaire libyen est pourtant clé pour la relance du pays.

Cet audit international constitue un premier pas vers la réunification indispensable de la Banque centrale laissant entrevoir la possibilité de mettre en œuvre une réelle politique monétaire et une redistribution plus juste et transparente des revenus pétroliers. Autant de conditions indispensables pour sortir de la crise actuelle et restaurer l’intégrité, la transparence et la confiance dans le système bancaire libyen. Les recommandations de la Banque mondiale portent essentiellement sur cet aspect. 

Elles préconisent, entre autres, d’améliorer à court terme la gouvernance du secteur, d’examiner la qualité des actifs des principales banques, d’améliorer la collecte des données bancaires, de reconstituer le cadastre et de reconstituer le système des paiements électroniques.

Mais pour accompagner la reconstruction du pays, son développement plus durable, les projets de diversification et de privatisation, il faudra aussi moderniser le système bancaire afin de lui permettre de soutenir les nouveaux acteurs de la reconstruction au- delà du secteur public et des grandes entreprises. Il faudra relancer certaines initiatives prises ces dernières années et stoppées par la crise (micro-crédit, mobile banking, développement de la banque islamique), et attirer à nouveau les banques étrangères (à l’instar de ce qui avait été accompli 2007 lorsque BNP Paribas prit 19% du capital de la Sahara Bank, une des plus importantes banques d’Etat) pour relancer la concurrence bancaire et améliorer la compétitivité du secteur.

Cela nécessitera un investissement important en formation et en développement de compétences dans la conception et la gestion de produits et services innovants, tels ceux fournis aujourd’hui par la Fintech. 

Source Service des études économiques Ambassade de France en Tunisie

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