Abdelhamid Dbeibah, Saïf al-Islam Kadhafi et le maréchal Khalifa Haftar font partie des 98 personnalités qui ont déposé leurs candidatures pour être le prochain président de la Libye. Dix ans après ses débuts, le dénouement de la crise semble s’amorcer, mais d’importants défis demeurent.
Le 24 décembre prochain, la Libye tiendra des élections présentées comme les premières libres et démocratiques de son histoire, sous la supervision de la communauté internationale. Après plus de 10 ans de perturbations qui ont suivi la chute de l’ancien guide libyen Mouammar Kadhafi, ce scrutin, plusieurs fois reporté, est perçu comme celui de tous les espoirs, de toutes les attentes, mais en même temps de toutes les craintes.
Bien que la signature d’un accord de cessez-le-feu le 23 octobre 2020 ait permis de faire taire les armes entre les anciens gouvernements d’est et d’ouest, le pays reste divisé entre factions fidèles à Khalifa Haftar et au gouvernement de Tripoli. Malgré l’élection du milliardaire Abdelhamid Dbeibah à la tête d’un gouvernement d’union nationale, ces divisions ont resurgi en septembre dernier, lorsque la Chambre des représentants, chambre basse du Parlement basée à Tobrouk, a voté une motion de censure contre le nouvel exécutif, seulement sept mois après son entrée en fonction. Les deux parties s’opposent notamment sur la loi électorale, le Parlement de Tobrouk ayant été accusé de prendre des dispositions particulièrement favorables au maréchal Haftar.
Au nombre des 98 candidats à la prochaine présidentielle, celui-ci fait partie avec Saïf al-Islam Kadhafi et Abdelhamid Dbeibah du trio qui focalisera les attentions au cours des prochaines semaines. Pour certains observateurs, la réussite ou l’échec du scrutin dépendra aussi de la volonté de ces trois hommes.
Khalifa Haftar est considéré comme l’homme fort de l’est libyen. Si sa candidature dénote d’une certaine volonté de participer au jeu politique, ses adversaires ne disposent d’aucune garantie de pouvoir faire campagne dans une zone dont il s’est rendu maître, ces dernières années. Et d’ailleurs, lui non plus ne dispose d’aucune garantie de pouvoir faire campagne à l’ouest où plusieurs milices lui sont toujours hostiles.
Des inquiétudes demeurent surtout au sujet de l’acceptation par les parties du verdict des urnes, si l’élection se tient comme prévu. Grâce à son armée, le maréchal dispose toujours d’une importante force de nuisance pour ses ennemis. Fort de cette puissance, lui qui avait déjà marché sur Tripoli l’année dernière, en vue de prendre la capitale par la force, pourrait à nouveau compromettre le processus de paix s’il s’estime « lésé » par le scrutin.
La France, la Russie et le reste de la communauté internationale
Principal artisan du nouveau processus électoral, la communauté internationale a exercé une pression sur les principaux acteurs du conflit libyen, pour le respect de la date fixée. Bien que les conditions d’une élection libre, démocratique et transparente ne soient pas totalement réunies au vu de la situation sécuritaire dans le pays, la présidentielle libyenne du 24 décembre est défendue par l’ONU comme la principale solution à une sortie de crise.
Pourtant, au-delà du scrutin, l’ingérence des puissances étrangères dans le conflit libyen est également un problème important. On le sait, les importantes réserves pétrolières de la Libye ont longtemps aiguisé l’appétit des pays étrangers et continuent à ce jour de susciter les convoitises. Cette fois, à ces intérêts économiques semblent s’ajouter des rivalités géopolitiques de plus en plus affirmées.
Comme en Centrafrique et au Mali, la France et la Russie s’opposent en effet sur le théâtre libyen qui a d’ailleurs été le premier terrain de leur guerre d’influence en Afrique. Moscou est accusé par la communauté internationale d’avoir envoyé en Libye des mercenaires qui combattent dans les rangs de l’homme fort de l’est libyen. L’année dernière, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, a déclaré devant la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat français que « le gouvernement d’union nationale est appuyé par la Turquie qui importe sur le territoire libyen des combattants syriens qui sont en nombre significatif (c’est-à-dire) plusieurs milliers ». Le chef de la diplomatie française a également déploré une « syrianisation du pays » avec « du côté Haftar, dans une moindre mesure parce que les forces sont moins importantes, la présence de la Russie qui importe aussi des combattants syriens, mais pas les mêmes ».
Ayant toujours démenti ces allégations, les autorités russes se sont toujours affichées en soutien au dialogue, et ont déjà plusieurs fois reçu au Kremlin le maréchal Haftar.
Cet antagonisme sur fond d’ingérence d’autres puissances telles que l’Egypte et la Turquie permet à chaque partie de bénéficier d’un soutien puissant, en cas de désaccord interne sur la poursuite du processus de paix. Même si Saïf al-Islam Kadhafi ne semble pour l’instant pas être ouvertement soutenu par une puissance étrangère, son poids politique en tant qu’ancien successeur pressenti de son père, lui offre une aura qui suscite de nombreux espoirs auprès des Libyens dont une partie est encore nostalgique des années de prospérité du régime Kadhafi.
Pour les prochains mois, les principaux enjeux concerneront donc la réunification du pays et de l’armée nationale sous un commandement unique, mais également la mise en place d’un véritable plan de développement du pays grâce à l’exploitation efficace de la manne pétrolière. Un objectif qui ne pourra pas être atteint sans un accord avec les différentes parties qui se disputent les principaux sites pétroliers du pays.
En dehors du secteur pétrolier dans lequel l’Italie et la France sont déjà bien positionnées grâce à leurs entreprises ENI et TotalEnergies, la reconstruction du pays offre la possibilité aux Etats étrangers de se positionner en tant que partenaires commerciaux ou d’investissement.
Pour l’heure, la Libye est toujours marquée par une crise économique où la production pétrolière, principale source de revenus du pays, évolue en fonction de la situation sécuritaire et des mouvements sociaux. Ainsi, le prochain scrutin attendu dans un mois devrait être pour beaucoup, le plus important de l’histoire du pays, en espérant bien sûr qu’il se tienne.
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