Une rencontre pleine de paradoxes et pouvant être qualifiée d’historique, celle ayant réuni l’ancien ministre libyen de l’Intérieur, Fathi Bachagha avec le général à la retraite, Khalifa Haftar, dans la ville de Benghazi (est). Ils étaient accompagnés de cinq autres candidats dans le but d’assurer la coordination concernant la phase post-électorale.
Réputé pour être l’homme fort de la région occidentale du pays, Bachagha a salué Haftar, connu à son tour d’être l’homme fort de l’est du pays. Chacun des deux hommes s’était engagé dans une attaque frontale et un violent combat contre l’autre dans la ville de Tripoli et les zones environnantes, en 2014-2015 puis en 2019 et 2020.
Cela pousse les observateurs à s’interroger sur le secret qui a réuni les deux hommes pour la première fois depuis 2014, et ce à trois jours de la tenue d’une élection présidentielle qui a été officiellement reportée, le mercredi 22 décembre.
Elections repoussées. Quels sont les scénarios ?
La réponse à cette interrogation est intervenue dans la bouche de Abdelmajid Seif Ennasr, un des principaux candidats à la présidentielle qui a assisté à la réunion de Benghazi.
Seif Ennasr a indiqué, dans un communiqué publié à l’issue de la rencontre, que « le mandat de tous les corps actuels prend fin le 24 décembre, conformément à la feuille de route politique ».
Il a également souligné « n’accepter aucun atermoiement ni prolongation de cette durée, sous quelque forme que ce soit ».
Par corps actuels, il ne s’agit pas de la chambre des députés soumise à Haftar ni même du Haut Conseil d’Etat (Consultatif législatif) mais plutôt du Gouvernement d’Union nationale présidé par Abdelhamid Dbeibeh et le Conseil présidentiel dirigé par Mohamed Manfi.
La rencontre de Bachagha avec Haftar a pour principal objectif la préparation de la phase post-24 décembre, à travers la formation d’un nouveau gouvernement qui ne sera pas présidé par Dbeibeh évidemment, ainsi que l’élaboration d’une feuille de route des prochaines élections présidentielle et législatives.
Bachagha avait évoqué, dans un enregistrement vidéo diffusé précédemment, la légitimité du gouvernement d’Union qui prendrait fin, selon lui, le 24 décembre à minuit et une minute.
En d’autres termes, les « décideurs et ceux qui tirent les ficelles » (Haftar et Bachagha) n’accepteront aucune prorogation du mandat du gouvernement d’Union nationale ne serait-ce qu’une minute de plus.
Ce qui est remarquable dans cette réunion c’est l’absence du candidat à la présidentielle, Aguila Salah, le président de la chambre des députés, qui faisait office de médiateur politique entre Haftar et Bachagha.
Toutefois, il semble que les choses ont évolué rapidement à telle enseigne que la rencontre n’était pas secrète ou téléphonique mais en présentiel et au vu et au su de tous, ce qui reflète l’importance de cette coordination qui pourrait évoluer en alliance, compte tenu de la puissance de l’adversaire auquel ils font face (Dbeibeh).
Bachagha s’était déjà porté candidat à la Présidence du gouvernement avant de perdre face à Dbeibeh. Son nom circule pour présider le prochain gouvernement si les efforts engagés actuellement parviendraient à écarter l’actuel Chef du gouvernement.
En contrepartie, le nom de Haftar circule pour diriger le Conseil présidentiel ou au moins lui accorder la prérogative de choisir le nom du prochain ministre de la Défense, ce qui lui permettra de renforcer son influence militaire dans la région occidentale cette fois-ci, de consolider ses milices, aussi bien financièrement que militairement, et de blinder son dossier juridique contre les plaintes déposées à son encontre aux Etats-Unis d’Amérique, étant accusé d’avoir commis des crimes de guerre.
Bachagha recourt au Caire
Bachagha ne s’est pas contenté de rencontrer Haftar et les autres candidats (Seif Ennasr, Ahmed M’atig, Mohame Montacer, Aref Nayedh, Cherif Wafi) mais s’est envolé au Caire pour rencontrer le chef des services de Renseignement égyptiens, Abbes Kamel, dans une tentative de mobiliser l’appui régional et international à son plan pas encore annoncé pour la phase qui suivra le 24 décembre.
La rencontre entre Bachagha et Abbes Kamel intervient au lendemain de l’audience accordée, au Caire, par le président égyptien Abdelfattah al-Sissi au président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Manfi.
Le régime égyptien s’emploie à garantir ses intérêts en Libye à travers la facilitation de l’alliance entre Haftar et l’homme fort de Misrata (Bachagha). L’Egypte a abouti à la conviction que son allié dans l’est de la Libye ne pourra pas dominer la Libye qu’en s’alliant avec les milices de Misrata pour isoler les islamistes et se débarrasser de Dbeibeh, qui est considéré par nombre d’observateurs, comme étant plus proche de la Turquie que de l’Egypte.
Cependant, Dbeibeh court le risque en se rapprochant de Haftar de perdre sa popularité et son influence dans la région de l’ouest du pays, en particulier, dans sa ville natale, Misrata, et auprès de ses puissantes milices armées.
C’est ce qui a été dévoilé par l’un des dirigeants des milices de Misrata, Taher Ben Gharbiya, dans une déclaration faite à la chaîne de télévision libyenne privée Panorama.
« Les milices de Misrata, les notables, le Conseil militaire, les fils et les mères de martyrs…nous avons tous été unanimes pour afficher notre rejet de tout contact avec le criminel Khalifa Haftar », a-t-il dit.
Dbeibeh refaçonne ses alliances
Dans une mesure qui reflète ses prédispositions à faire face à ses adversaires qui veulent sa chute, Dbeibeh a récupéré, mercredi, son poste de Chef de gouvernement, après avoir transmis, temporairement, ses fonctions, au vice-président Romdhane Bounjeh, à la suite de l’annonce par la chambre des députés du report des élections.
Dbeibeh a été catégorique en lancant : « Je ne laisserai pas la Libye s’enliser dans l’absurde une fois de plus, et je continuerai à assumer les responsabilités qui sont les miennes pour la patrie et je sais pertinemment que des complots sont en train d’être tramés contre ma personne ».
Cela signifie qu’un affrontement « politique » opposera Dbeibeh, d’une part, à Bachagha, Haftar et la chambre des députés d’autre part. Cet affrontement politique pourrait évoluer en affrontements militaires à Tripoli si les différents protagonistes ne parvenaient pas à un accord quelconque.
Parallèlement à la photo illustrant la poignée de mains entre Bachagha et Haftar à Benghazi, une autre photo s’est propagée sur les réseaux sociaux montrant Dbeibeh avec Méchri en compagnie de Mohamed Guenounou, porte-parole de l’opération « Volcan de la colère » qui avait défait les milices de Haftar lors de l’attaque lancée contre Tripoli.
Ce cliché a été pris, en date du 20 décembre, en marge de la célébration du cinquième anniversaire de la libération de la ville de Syrte (450 Km à l’est de Tripoli) de l’emprise de l’organisation terroriste Daech.
Il est remarquable le retour de Guenounou aux apparitions médiatiques après qu’une interdiction lui a été faite par le Conseil présidentiel, commandant en chef de l’armée, de faire des déclarations aux médias locaux, et ce depuis le mois d’avril dernier.
Il ressort du retour de Guenounoun sur la scène une sorte de message adressé aux milices de Haftar que tout mouvement militaire en direction de Tripoli sera contré par un retour au front des milices affiliées à l’opération « Volcan de la colère ».
Cette photo reflète une nouvelle alliance qui commence à se dessiner entre Dbeibeh (pouvoir exécutif) et le président du Haut Conseil d’Etat (pouvoir législatif) et l’opération « Volcan de la colère » (pouvoir militaire) pour faite face à l’alliance pouvant être nouée et officialisée entre Bachagha, Haftar et la présidence de la chambre des députés.
Au moment où les députés loyaux à Haftar et à Bachagha tiennent à écarter Dbeibeh, ce dernier s’immunise par le soutien du Haut Conseil d’Etat en tant que partenaire de la chambre des députés, et sa consultation pour le choix du Chef du gouvernement est « contraignante », conformément à l’Accord politique.
Si les milices de Hafatr décident de coordonner avec les phalanges et les services sécuritaires loyaux à Bachagha et de recourir à la force pour déposer Dbeibeh, ce dernier pourrait compter sur la plupart des milices de Misrata et de la zone occidentale qui ont résisté à l’attaque de Haftar en 2019.
Le maintien de chacune des deux parties de leurs positions sera de nature à rééditer le paysage de la scission et à réenclencher la crise de la légitimité, ce qui pourrait faire engager le pays dans une nouvelle phase transitoire et l’éloigner, pour de longs mois, de l’échéance des élections, au lieu d’un report d’un mois selon la suggestion formulée par la Commission électorale
Source Analyse Agence Anadolu
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