Le 17 février 1989 naissait l’Union du Maghreb arabe, une idée saluée à cette époque sauf que les différents et les divergences politiques et structurelles ont rendu cette Union impossible à réaliser avant même que cette idée ou ce rêve ne soit née. Analyse de Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.
Dans les années 80 du siècle dernier, le monde se globalisait à outrance, les pays limitrophes et au-delà se constituaient en blocs pour une intégration économique régionale, facilitant les échanges commerciaux et ouvrant de nouveaux horizons, en matière de développement, de création d’emplois et de richesses… La CEE (communauté économique européenne) qui a vu le jour, en embryon de six pays, dès la fin des années 50 pour vite s’élargir à neuf, puis à douze… jusqu’à s’ouvrir sur des pays du Centre et même de l’Est européen pour devenir l’Union européenne (UE), dépassant le cadre de l’intégration purement économique, était l’exemple le plus proche et le plus accompli pour les pays de l’Afrique du Nord qui ont commencé à entrevoir l’intérêt qu’il pouvait y avoir, à opter pour une coopération inclusive.
De timides tentatives avortées
Proches, au-delà de la langue et de la religion de leurs majorités respectives, par une histoire commune et un même colonisateur français, la Tunisie, l’Algérie et la Maroc s’aguerrissaient dès 1945, à travers les chefs des mouvements nationaux qui, réunis en une mini conférence, établissaient un plan d’action de lutte commune pour l’indépendance. En 1958, ils récidivaient à Tanger (Maroc), pour aider le Front de libération nationale (FLN) de L’Algérie à se débarrasser, lui aussi, du colonisateur, Tunis et Rabat étant récemment devenus souverains.
Mais avec l’indépendance de L’Algérie, à laquelle le Maroc et, surtout, la Tunisie ont apporté leur tribut, des différends ont surgi, concernant la revendication de parcelles pétrolifères et minières, annexées par la France, de part et d’autre, à l’Algérie qu’elle comptait faire à jamais française. Le rapprochement du FLN, détenteur du pouvoir, du bloc soviétique, auquel Rabat et Tunis ne sont pas -au moins- favorables, a accentué un froid que seule la diplomatie et le savoir-faire de Habib Bourguiba a empêché de se transformer en conflit ouvert sur les frontières tuniso-algériennes. Le soutien algérien au Polisario du Sahara occidental qui permettrait un accès direct à l’Algérie sur le Pacifique, a pourri -et pourrit toujours- les rapports algéro-marocains.
L’avènement de la Révolution du 1er septembre en Libye et les opportunités de coopération, élargies par Mouammar Kadhafi aux cadres et à la main d’œuvre maghrébines, ont fait de ce pays frontalier du Sud tunisien et algérien un partenaire indissociable du trio de l’Afrique du Nord ou du Maghreb, bien qu’il en soit au Sud-Est, tout comme la Mauritanie en est à l’extrême-Ouest. Aussi lorsque le roi Hassan II du Maroc, qui a mis entre parenthèses son différend avec Alger à propos du Sahara occidental, avec Chedly Ben Jédid, le Président algérien, moins rigide que ses prédécesseurs, Zine El Abidine Ben Ali qui voulait se faire une place sur l’échiquier régional, après le monumental Bourguiba, ont-ils intégré Kadhafi et Maaouia Ould Sid’Ahmed Taya de Mauritanie, pour la création d’une entité dont le but est de favoriser la mise en place d’une politique et de stratégies communes, au niveau régional, en vue de constituer, à terme, une union économique entre les cinq pays membres.
Après une réunion préparatoire à Zéralda en Algérie, le 10 juin 1988, les cinq chefs d’Etat signaient, en grandes pompes, le 17 février 1989, au palais royal de Marrakech, le Traité constitutif de la création de l’UMA (Union du Maghreb arabe) qui porte sur trois axes, politique, économique et culturel.
Les raisons d’un non aboutissement
Le projet, prometteur et basé sur des impératifs tels le progrès, la fraternité le meilleur être, la libre circulation, l’intérêt commun, répondait à la nécessité de faire face aux autres blocs, d’élargir le marché (76 millions, à l’époque, 103 actuellement) de réduire le chômage des jeunes, d’améliorer les déficits, à travers une intégration d’économies complémentaires, l’Algérie et la Libye riches en pétrole et gaz naturel, la Mauritanie en ressources minérales, le Maroc et la Tunisie en agriculture et en savoir dans les secteurs industriels et financiers, fort développés.
Aux premières années de cette UMA, l’enthousiasme et les déclarations euphoriques de projets en cours, de puissance en devenir prenaient le pas sur les vraies réalisations. Les notions de “souveraineté” et d'”intérêt national”, pris dans leur sens le plus restreint et qui étaient, souvent, synonymes de corruption et de manque à gagner pour bon nombre de responsables, ont empêché des zones franches de tourner et de prospérer, des projets communs d’aboutir et l’Union de se développer. L’historien algérien Sadek Sallem dit pourtant : “Incroyable qu’on ne tienne pas compte et qu’on ne profite pas de la position géostratégique de la région.
Elle est tellement plus importante et mieux exploitable que les conflits existants et entretenus. Le malheur, c’est qu’on a l’impression qu’aucun pays de la région du Maghreb ne se rend compte qu’il ne peut s’en sortir tout seul”.
Quant au Professeur marocain à l’Université Paris 13, Youssef Chiheb, il affirme qu’avec les divergences et les conflits régionaux, actuellement impossibles à aplanir, Rabat et, à un degré moindre, Tunis se sont tournées vers l’Afrique subsaharienne, alors que leur “terrain naturel” est le Maghreb, susceptible de constituer, par ses richesses complémentaires, son étendue et sa population, un bloc des plus solides.
Il rejoint l’homme politique et d’affaires espagnol Rodrigo De Rato qui a résumé, en 2005, le Maghreb en ces mots : “Voilà une région qui se présente en marchés, petits et fragmentés, dont la meilleure chance de développement se situe dans l’ouverture et l’intégration. Cela rendrait le Maghreb plus attrayant pour les investisseurs, d’autant qu’avec des structures économiques complémentaires, il créerait des possibilités d’échanges qui bénéficieraient à tous les pays de la région méditerranéenne”.
Seize ans après ses paroles, l’Algérie et le Maroc ont évité une guerre totale d’un cheveu, Rabat vogue sur des eaux lointaines, la Libye cherche à se sortir d’un marasme inextricable et la Tunisie attend pour voir de quoi sera fait son lendemain.
Le rêve de l’Union du Maghreb arabe est plus que jamais un mirage, pour ne pas dire un mort-né
Source Agence Anadolu
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