Et si l’Irak se découvrait de nouvelles ambitions gazières ? Il en a plus que les moyens
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Denys Bédarride
mardi 12 avril 2022 Dernière mise à jour le Mardi 12 Avril 2022 à 06:00

Avec des réserves évaluées à plus de 300 ans au rythme de la production en 2020, l’Irak est, avec le Yémen, le pays au monde qui exploite le moins son énorme potentiel. L’Irak dispose de 3500 Mds m3 de réserves prouvées, soit les 12ème réserves mondiales, derrière l’Algérie et devant l’Azerbaïdjan. Cependant, ces réserves restent largement sous-exploitées avec une production annuelle qui oscille entre 12 et 14 Mds m3 ces dernières années, plaçant le pays au rang de 35ème à 40ème producteur mondial selon les années.

Alors que l’Irak bénéficiait en 2020 de capacités de production théoriques de gaz d’environ 16 Mds m3, le pays en a produit seulement environ 12,9 Mds m3. 

La production gazière irakienne provient presque exclusivement du gaz associé à la production de pétrole, et dépend donc grandement des niveaux de production de cette ressource. Ainsi, en 2019, année record de production pétrolière avec 4,8 M. b/j, l’Irak est parvenu à produire 14,2 Mds m3 de gaz.

Une grande partie du gaz associé n’est cependant toujours pas exploitée mais directement torchée. En 2020, les estimations sont comprises entre 13,6 et 17,4 Mds de m3 de gaz associé torché, faisant du pays le 2ème au monde après la Russie en quantité de gaz associé torché. Aussi, les autorités irakiennes (fédérales et régionales kurdes) tentent de valoriser cette ressource inexploitée avec le lancement ces dernières années de plusieurs programmes qui devraient enfin voir le jour en 2023.

Les besoins en gaz ayant doublé en l’espace de cinq années ont nécessité l’importation d’importantes quantités en provenance d’Iran.

L’Irak a massivement investi dans la construction de centrales électriques à gaz dans les années 2010 (production électrique totale passée de 41,7 TWh en 2010 à 131,3 TWh en 2020, soit la croissance annuelle moyenne la plus forte au monde avec +12,3 %).

Leur mise en service a alors nécessité un apport complémentaire en gaz naturel. Alors que l’Irak consommait en 2016 l’équivalent de sa production locale (9,9 Mds m3), le pays est devenu, dès mars 2017, importateur net (7 à 8 Mds m3/an) grâce à l’accord gazier avec l’Iran. Ses besoins de consommation intérieure étaient évalués à 20,8 Mds m3 en 2020.

D’autres projets d’importation, sous forme de GNL, en provenance du Qatar notamment, sont à l’étude. Selon le ministre du Pétrole irakien, qui s’est rendu à Doha en février 2022, le volume en discussion serait d’1,5 Mt/an. Le Conseil des Ministres a également validé le 15 février 2022 le lancement d’une étude relative à l’installation d’une plateforme temporaire de regazéification afin de permettre ces importations de GNL.

Lors du sommet des pays exportateurs de gaz, en février 2022 à Doha, le ministre du Pétrole irakien, Ihsan Ismael, a annoncé que le secteur gazier était désormais la première priorité de son ministère et supplanterait à terme le secteur pétrolier. 

De nombreux projets d’exploitation des ressources gazières, essentiellement sous la forme de capture et traitement du gaz associé à la production de pétrole sont en effet prévues par le ministère du pétrole. Au total, ce sont près de 25 Mds de m3/an qui pourraient venir s’ajouter d’ici 2026/27 à la production actuelle de l’Irak si tous ces projets se concrétisaient.

À court terme, trois projets devraient voir le jour en Irak fédéral en 2023/24 permettant d’ajouter 9 Mds de m3/an à la production actuelle :

1) Le projet de la société China Petroleum Engineering & Construction Company, attributaire d’un contrat pour la production de 3 Mds m3/an à partir du gaz associé du champ de pétrole d’Halfaya. Ce projet, initialement prévu en 2022, ne devrait finalement voir le jour qu’en 2023 au plus tôt en raison des retards pris pendant la pandémie de COVID-19.

2) Le projet de la société Baker Hughes, sur la base d’un contrat signé en décembre 2020, et portant sur la capture et l’exploitation du gaz associé des champs de pétrole de Nassiriya et Gharaf, pour une capacité prévue de 2 Mds de m3/ an. Ce projet devrait également entrer en vigueur en 2023.

3) Le projet Basra Natural Gas Liquids du principal producteur de gaz du pays, la société Basra Gas Company (South Gas Company 51 %, Shell 44 %, Mitsubishi 5 %). Ce projet signé en 2018 pour une mise en service initialement prévue en 2020 devrait être lancé en 2023 et permettre d’accroitre la production irakienne de 4 Mds m3/an à partir du gaz associé des champs de pétrole de Rumaila, Zubair et West-Qurna-1. Le lancement de la phase 1 (2 Mds m3/an) de la phase 2 (2 Mds m3/an) est prévu respectivement en 2023 et 2024.

À moyen terme, deux contrats récemment signés devraient encore accroitre la production de 9 Mds m3/an à partir de 2025/26 :

1)  Le projet Gas Growth Integrated project de la société TotalEnergies devrait permettre d’ajouter 6 Mds m3/an grâce à la capture et la réutilisation du gaz associé de cinq champs de pétrole de la région de Bassora. La phase 1 (3 Mds m3/an) devrait être mise en service en 2025 et la phase 2 (également 3 Mds m3/an) en 2026.

2)  Le contrat signé en janvier 2022 par la société Sinopec devrait permettre d’exploiter le champ gazier de Mansuriya pour un volume de production attendu de 3 Mds m3/an.

Par ailleurs, les autorités irakiennes espèrent relancer d’ici 2025 le projet d’exploitation du plus grand champ gazier du pays, Akkas, dont le potentiel de production est estimé à 4 Mds m3/an mais pour lequel les négociations avec de potentiels investisseurs progressent peu pour l’instant.

Le Kurdistan irakien, qui produisait déjà près de 5 Mds de m3 de gaz en 2021, soit plus d’un tiers de la production globale de l’Irak, devrait doubler sa production d’ici 2024/25. 

Le principal producteur du Kurdistan irakien, la société Pearl Petroleum (Dana Gas 35%, Crescent Petroleum 35%, OMV 10%, MOL 10%, RWE 10%) doit augmenter la production du champ gazier de Khor Mor avec 2,5 Mds m3/an supplémentaires dès 2023 et à nouveau 2,5 Mds m3 supplémentaires en 2024/25.

En parallèle, la production pourrait être également soutenue par le ministère des Ressources Naturelles du Kurdistan grâce à l’obligation imposée aux producteurs de pétrole de lancer avant février 2023 des projets de capture et de réutilisation du gaz associé. Une incertitude pèse en revanche sur le lancement du projet d’exploitation des champs gaziers de Miran et Bina Bawi (potentiel de production de 11,5 Mds m3/an), attribué à la société Genel en 2015, mais qui n’a pour l’instant jamais vu le jour en raison d’un litige entre la société et les autorités locales. 

Le 4 février dernier, le président turc Erdogan évoquait, à son retour de Kiev, un potentiel accord pour la fourniture de gaz irakien vers la Turquie. 

Cette déclaration est intervenue deux jours après le déplacement à Ankara du Président du Gouvernement régional du Kurdistan, Nechirvan Barzani, dans un contexte où les producteurs de gaz du Kurdistan évoquent de plus en plus ouvertement des projets d’exportation vers la Turquie afin d’alimenter le marché européen. De telles perspectives nécessitent toutefois d’impliquer dans les négociations les autorités fédérales à Bagdad. 

Le 15 février 2022, la Cour suprême fédérale d’Irak a déclaré inconstitutionnelle la loi kurde n°22-2007 sur les activités pétrolières et gazières au Kurdistan. Au travers cette décision, la Cour suprême reconnait la primauté du gouvernement fédéral à Bagdad sur la gestion des ressources pétrolières et gazières, et la nécessité d’obtenir son aval pour l’octroi de contrats de production ou d’exportation, au moment où les autorités fédérales évoquent de plus en plus ses propres perspectives d’exportation à moyen terme. 

Source : Service Economique de Bagdad de l’Ambassade de France

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