La scission sur la scène libyenne n’est plus circonscrite à deux gouvernements aux prises du pouvoir mais s’est étendue aux couloirs du Conseil de sécurité de l’ONU, dans la mesure où le profond différend entre la Russie et les Etats-Unis d’Amérique portant sur la nomination d’un nouvel émissaire onusien dans ce pays arabe, a abouti à se contenter de prolonger le mandat de la Mission onusienne de trois moins seulement au lieu d’une année voire de six mois.
L’américaine Stephanie Williams, actuellement conseillère onusienne en Libye, se trouve au cœur de ce conflit diplomatique entre Moscou et Washington, qui bien que ses racines remontent à de longs mois, il n’en demeure pas moins que la guerre russo-ukrainienne a contribué à rendre cette tension plus complexe encore.
La Russie demande un émissaire exclusivement de nationalité africaine
En effet, la Russie s’oppose à la poursuite du mandat de Williams à la tête de la Mission onusienne, quand bien même au poste de conseillère du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et insiste en contrepartie pour nommer un nouvel émissaire qui sera exclusivement de nationalité africaine, allant ainsi dans le même sens que les demandes de l’Union africaine en la matière. La Russie bénéficie du soutien de la Chine qui dispose, également, d’un siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans le camp opposé, les Etats-Unis ont entravé, à maintes reprises, la désignation de candidats africains à la tête de la Mission onusienne en Libye, simultanément avec son entreprise pour prolonger le mandat de la Mission pour une durée d’une année et pour le maintien de Williams à sa tête en tant que conseillère de Guterres, du moins compte tenu du rejet de Moscou de l’accepter en tant qu’envoyée onusienne.
Depuis le mois de septembre 2021, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas prolongé le mandat de la Mission onusienne pour la Libye plus de 4 mois, d’autant plus que l’ancien émissaire, Ian Kubic, avait présenté sa démission de la tête de la Mission au mois de novembre de la même année.
Le mandat de la Mission onusienne a été prolongé, au mois de septembre dernier, pour une durée de quatre mois, qui ont été prorogés au mois de janvier pour une durée de trois autres mois, qui ont pris fin à la date du 30 avril écoulé. Le mandat a encore été prolongé pour trois autres mois, d’ici la fin du 31 juillet prochain.
Le prolongement du mandat de la Mission, pour une durée de 90 jours seulement, affaiblit le rôle de Stephanie Williams et des Nations unies pour gérer le processus politique en Libye.
Cette situation donne l’impression aux protagonistes libyens que Stéphanie Williams ne bénéficie pas du soutien international suffisant et nécessaire, ce qui serait de nature à entraver sa mission pour parrainer le dialogue entre la Chambre des députés de Tobrouk et le Haut Conseil d’Etat (législatif – consultatif), ce qui l’exposera au chantage pour prendre des positions partisanes en faveur d’un camp au détriment d’un autre.
C’est ce à quoi le représentant-adjoint des Etats-Unis aux Nations unies, Jeffrey DeLaurentis avait fait allusion en lançant que la « décision dans sa formule actuelle n’assure pas le soutien requis (à la Mission onusienne) de même qu’il adresse un message négatif au peuple libyen ».
Le délégué russe à l’ONU, Vassili Nebenzia, lui a rétorqué en exprimant ses « regrets quant à l’orientation de certains membres de ce Conseil, qui semblent peu enclins à accepter le scénario de voir la Mission des Nations unies en Libye dirigée par une personnalité issue du continent africain et cela est infructueux ».
A la recherche d’un appui européen
L’insistance russe à rejeter le maintien de Stéphanie Williams à la tête de la Mission onusienne a poussé cette dernière à chercher un appui parmi les alliés européens de Washington pour renforcer son rôle dans la direction du Dialogue qu’elle parraine au Caire entre la chambre des représentants et le Conseil d’Etats libyens.
Stéphanie Williams a pris attache avec de hauts responsables en Allemagne, au Royaume-Uni et en France, entre le 23 et le 29 avril, au cours de visites effectuées à Berlin, à Londres et à Paris, aux fins de mobiliser l’appui européen à son plan pour identifier un consensus entre les deux principaux protagonistes libyens et aboutir ainsi à la fin de la scission et à la tenue d’élections.
La diplomate américaine a rencontré le ministre d’Etat allemand, Tobias Lindner, le Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, Andreas Michaelis, le ministre d’Etat au département des Affaires étrangères, Lord Ahmad of Wimbledon, Secrétaire d’Etat pour l’Asie du Sud et le Commonwealth, et Paul Soler, émissaire spécial de la France pour la Libye.
Selon les données publiées sur la page officielle de la Mission onusienne, Stéphanie Williams a expliqué aux responsables européens, les résultats des dernières consultations de la Commission mixte composée entre les membres de la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’Etat, qui ont eu lieu au Caire entre le 13 et le 18 avril.
Stéphanie Williams a évoqué, au cours de ces réunions, un nouveau round de la Commission mixte de la Chambre des représentants et du Conseil d’Etat, qui se tiendra à la mi-mai courant, au Caire. Elle a également, discuté de l’importance de la préservation de la poursuite des processus sécuritaire et économique, à travers le maintien du calme sur le terrain et le soutien du dialogue entre les protagonistes libyens.
Bien que la conseillère onusienne ait obtenu le soutien des trois capitales pour « rétablir la Libye dans le processus des élections nationales, dans un cadre constitutionnel solide et selon un calendrier préétabli », il n’en demeure pas moins que sa mission semble difficile, compte tenu du gap grandissant entre les protagonistes libyens, de même que les responsables européens qu’elle a rencontrés n’étaient pas les ministres des Affaires étrangères des pays respectifs visités, ce qui a une certaine signification.
Le premier round, qui s’est déroulé au Caire, entre les membres de la chambre des députés et le Conseil d’Etat, n’a pas été couronné de succès, selon plusieurs médias, au vu de la transformation du conflit en une concurrence sur la légitimité entre le gouvernement d’Union conduit par Abdelhamid Dbeibeh et celui chargé par la chambre des députés de Tobrouk présidé par Fathi Bachagha, au lieu de chercher une légitimité à travers les élections.
Ce qui accroît la pression sur Stéphanie Williams, autre que le processus politique en stagnation, est le retrait des cinq membres loyaux à Haftar, commandant des forces de la région orientale, de la Commission militaire mixte (5+5), retrait qui menace l’Accord de cessez-le-feu conclu le 23 octobre 2020.
Le blocage par des partisans de Haftar de deux gisements et de deux ports pétroliers est une escalade de plus qui est de nature à affecter négativement sur la situation économique dans le pays, de même qu’il aura des retombées internationales à la lumière, notamment, de la hausse des cours du pétrole et des efforts déployés par les pays occidentaux pour renoncer à l’importation du pétrole russe.
Cette situation politique, militaire et économique précaire en Libye pourrait aboutir au renoncement des pays européens au soutien de Williams et à céder face aux pressions russes en nommant un nouvel émissaire onusien, si aucun résultat tangible n’est réalisé sur le terrain. Cela générerait un Accord politique portant organisation d’élections sur la base d’une « Règle constitutionnelle ».
Analyse par Agence Anadolu
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