Tunisie : Quelle est la situation de la migration et des migrants ? Analyse
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Fiona Urbain
mercredi 8 décembre 2021 Dernière mise à jour le Mercredi 8 Décembre 2021 à 13:40

La Tunisie n’a pas échappé à la tendance mondiale de la migration, notamment depuis 2011. Des changements importants ont ainsi marqué le paysage migratoire tunisien aussi bien du côté des flux sortants qu’entrants. Le présent rapport de l’enquête nationale sur la migration tente d’en esquisser les principaux déterminants ainsi qu’un profil des différentes populations de migrants, dont il donne également une estimation des effectifs. 

Les statistiques de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), estiment à 281 millions le nombre de migrants dans le Monde en 2020, soit 3,6% de la population mondiale. Bien que les flux migratoires se soient récemment ralentis en conséquence de la pandémie du Covid-19, la tendance des vingt dernières années montre une accélération des migrations dans leurs diverses formes, volontaires ou contraintes.

Les non migrants

Dans le cadre de l’enquête, est considéré non migrant tout individu de nationalité tunisienne, âgé de 15 ans et plus, ayant déclaré qu’il n’a jamais résidé plus que trois mois dans un autre pays que la Tunisie.

Parmi la population non migrante, près d’une personne sur cinq déclare avoir l’intention d’émigrer. L’enquête permet de dresser un profil du candidat à l’émigration : un homme jeune, âgé entre 15 et 24 ans, célibataire, instruit et sans emploi, habitant le Grand Tunis, le Centre-est ou le Sud-est du pays.

Les principales raisons d’émigration avancées par les migrants potentiels sont liées à la recherche d’emploi et de meilleures conditions de travail, ainsi qu’à l’opportunité d’un niveau de vie meilleur.

L’Europe (principalement la France, l’Italie et l’Allemagne) demeure la destination préférée pour sept non-migrants sur dix ayant l’intention d’émigrer, suivie des pays de l’Amérique du Nord et des pays arabes. Toutefois, l’intention d’émigration reste pour la plupart des migrants potentiels l’expression d’un souhait sans réelle suite, car seuls 14,3% déclarent avoir entrepris des démarches spécifiques pour émigrer.

Les migrants actuels

Dans le cadre de l’enquête, est considéré comme migrant actuel (ou émigré) toute personne de nationalité tunisienne, âgée de 15 ans et plus, ayant résidé en Tunisie et qui réside actuellement dans un autre pays pour une durée d’au moins trois mois. En se basant sur cette définition, l’effectif des émigrés tunisiens serait autour de 566.000 individus (388.000 hommes et 178.000 femmes).

La répartition spatiale des migrants actuels présente une double polarisation : selon la région de résidence en Tunisie et le pays d’accueil à l’étranger. Ainsi, trois quarts des migrants actuels sont originaires de trois régions : le Nord-est, le Grand Tunis et le Centre-est. En outre, trois pays d’Europe accueillent trois quarts des migrants : la France, l’Italie et l’Allemagne. 

La structure d’âge des migrants actuels ne semble pas présenter une forte concentration de classe d’âge bien que la population reste relativement jeune : près de quatre migrants sur dix, ont entre 15 et 29 ans. La répartition par classe d’âge est presque identique pour les hommes et les femmes.

Concernant les raisons principales de l’émigration, celles liées à l’emploi et l’amélioration des conditions de travail restent une motivation dominante pour près de la moitié des émigrés. Le regroupement familial concerne toutefois plus des deux tiers des femmes.

Le niveau d’éducation des migrants actuels est nettement plus élevé que celui de la population en Tunisie. Un émigré sur trois a un niveau d’éducation supérieur. Ceux qui n’ont aucun niveau d’éducation sont largement minoritaires (3,3%). Cette tendance s’est accentuée durant les dernières années. Ainsi, à titre d’exemple, sur la période 2015-2020, environ 39.000 ingénieurs et 3.300 médecins auraient quitté le pays pour des opportunités de travail à l’étranger.

Au moment de l’enquête, 55,5% des migrants actuels déclaraient exercer une activité professionnelle dans le pays d’accueil (68,1% pour les hommes contre 28,2% pour les femmes). Avant la pandémie du Covid-19, la proportion des occupés aurait été de 63,4%, ce qui semble confirmer l’impact négatif de la crise sanitaire sur l’emploi des émigrés tunisiens. Durant la période pré-Covid, les premiers pourvoyeurs d’emplois pour les migrants actuels étaient les secteurs du bâtiment et travaux publics (17%), l’hôtellerie-restauration (13,7%) et le commerce (8,7%). Viennent, par la suite, l’industrie manufacturière (8,1%) et l’agriculture et la pêche (7%).

Près d’un migrant actuel sur dix déclare avoir réalisé des investissements en Tunisie. Cette proportion augmente avec l’âge du migrant. Les investissements réalisés portent sur des domaines classiques : la construction, l’immobilier, l’agriculture, ou le commerce. La réalisation des projets rencontre plusieurs difficultés et obstacles : la complexité des procédures administratives, l’insuffisance des capitaux, la corruption et le clientélisme ainsi que la faiblesse des aides financières et des incitations fiscales en Tunisie.

Enfin, la moitié des migrants actuels ont émigré durant les vingt dernières années. Les durées migratoires les plus longues sont observées dans les pays d’Europe, pays d’accueil traditionnels des migrants tunisiens. Les pays du Golfe présentent des durées de séjour moins longues.

Les migrants de retour

Dans le cadre de l’enquête, est considéré comme migrant de retour toute personne de nationalité tunisienne résidant actuellement en Tunisie, qui a vécu à l’étranger pendant trois mois ou plus, et était âgée de 15 ans ou plus au moment de son retour. Selon cette définition, l’effectif des migrants de retour encore vivants au moment de l’enquête est estimé à 211.000 individus (176.000 hommes et 35.000 femmes).

La migration de retour est caractérisée par une concentration spatiale. Ainsi, les migrants de retour s’installent essentiellement dans trois régions en Tunisie : le Grand Tunis, le Centre-est, et le Sud-est. Quant aux pays de provenance, environ huit migrants de retour sur dix résidaient soit en Libye, soit en France, soit en Italie.

Bien que la proportion des femmes migrantes soit tendanciellement à la hausse, le retour reste un phénomène à dominance masculine (83,5%). La migration de retour varie beaucoup selon l’âge. Relativement élevée chez les jeunes, elle décroit pour passer par un minimum entre 45 et 59 ans et repartir à la hausse après 60 ans, âge de départ à la retraite. Par ailleurs, le niveau d’instruction des migrants de retour s’est amélioré au fil du temps. La part des non-instruits a progressivement baissé, tandis que la part de ceux ayant un niveau d’éducation supérieur a augmenté, surtout parmi les femmes.

La migration pour le travail était la cause principale du départ de la tunisie des migrants de retour, pour sept migrants sur dix. Concernant les conditions de retour, un migrant sur deux est retourné volontairement en Tunisie, principalement pour des raisons familiales (mariage, séparation, regroupement familial, éducation des enfants…) ou à l’âge de la retraite. En revanche, l’autre moitié correspond à des retours contrains ou par obligation : pour des raisons de vulnérabilité et de conditions défavorables dans le pays d’accueil, de fin de contrat ou bien suite à une expulsion.

Un tiers des migrants de retour déclare avoir rencontré des difficultés lors du retour, notamment, celles liées à l’emploi et au revenu. Les problèmes d’ordre social (intégration, problèmes familiaux…) ont affecté plus les femmes que les hommes. Si 30% des migrants de retour ont l’intention de ré-émigrer, ils sont plus que 56% à le souhaiter pour ceux retournés durant les deux dernières décennies.

Près d’un migrant de retour sur cinq déclare avoir réalisé des investissements en Tunisie. Cette proportion est d’autant plus élevée que la durée de la migration est longue. Elle augmente aussi avec l’âge du migrant. Selon les migrants de retour, l’investissement en Tunisie est entravé, essentiellement, par la complexité des procédures administratives, la faible incitation fiscale, la corruption et l’étroitesse du marché.

Les étrangers résidants en Tunisie ou immigrés

Dans le cadre de l’enquête, un immigré (ou un résidant étranger en Tunisie) est toute personne qui réside sur le territoire pour une durée minimale de six mois. Cette population comprend toutes les personnes de nationalité étrangère titulaires ou non d’une autorisation de résidence en Tunisie. Selon cette définition, son effectif au moment de l’enquête serait de près de 59.000 individus.

En termes de région géographique de provenance des immigrés, trois régions dominent : l’Europe (18,5%), le Maghreb (37%) et les autres pays d’Afrique (36,4%). Il est à noter que la situation pandémique critique, au moment de l’enquête, a provoqué un départ significatif de ressortissants européens vers leurs pays d’origine, leur statut de résidence ainsi que l’assistance des autorités de leurs pays ayant facilité leur mobilité au cours de cette période.

La population immigrée originaire des pays d’Afrique hors Maghreb est celle ayant enregistré la plus forte croissance sur les dernières années, son effectif estimé passant de 7.200 individus en 2014 (selon le dernier recensement de la population) à 21.466 au moment de l’enquête.

La population immigrée réside, essentiellement, dans deux régions du pays : près de 80% habitent soit le Grand Tunis soit le Centre-est. Ces deux régions côtières se caractérisent par une infrastructure moderne par rapport aux autres régions, de meilleures opportunités d’emploi, une présence et accessibilité aux principaux services et une densité importante des établissements d’enseignement supérieur.

Les immigrés entrés en Tunisie déclarent y être venus principalement pour trois raisons : le mariage ou le regroupement familial dans 36,6% des cas, l’emploi et l’amélioration des conditions de vie pour 35,1% des migrants et les études dans 15,5% des cas.

Six migrants sur dix envisagent de rester en Tunisie. Parmi ceux qui déclarent avoir l’intention de quitter, deux tiers entendent retourner au pays d’origine, un quart veut quitter vers d’autres pays et un dixième se déclare indécis. 

Source de l’enquête : Institut National de la Statistique

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