La Tunisie veut lancer quatre grands axes de réformes pour aboutir à une trajectoire budgétaire plus soutenable pour le pays
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Denys Bédarride
vendredi 11 mars 2022 Dernière mise à jour le Vendredi 11 Mars 2022 à 05:00

Le cadre budgétaire à moyen terme, publié en annexe de la loi de finances 2022, est explicite sur les origines structurelles de la situation financière actuelle au-delà des effets de la crise sanitaire. La défaillance de la gestion des entreprises publiques, l’explosion de la masse salariale publique ou l’inefficacité du système de subventions sont expressément citées. Pourtant, quatre axes de réformes – masse salariale, subventions, entreprises publiques et fiscalité sont explicités pour rééquilibrer la trajectoire budgétaire. 

Alors que la poursuite des répercussions de la crise sanitaire perturbe les perspectives de reprise, que les besoins de financement annuels par emprunt de l’Etat se maintiennent à près de 20 Md TND (environ 6 Md EUR) et que la dégradation de la note souveraine tunisienne ferme l’accès aux marchés financiers, quatre axes de réformes – masse salariale, subventions, entreprises publiques et fiscalité sont explicités pour rééquilibrer la trajectoire budgétaire. 

Pour autant la trajectoire proposée de consolidation budgétaire sur la période 2022-2024 semble assez modérée. 

Quatre grands axes de réformes pour aboutir à une trajectoire budgétaire plus soutenable

Le rapport fixe les grands axes de réformes nécessaires à la maîtrise de la masse salariale sans toutefois aller au- delà des mesures préliminaires déjà évoquées lors de la mission de la DG Trésor fin janvier. 

Si la nécessité de mesures « urgentes » de rationalisation des rémunérations et missions est évoquée, rien n’est précisé au-delà d’une « reconsidération » sans effet rétroactif des accords de revalorisation salariale signés en février 2021 avec l’UGTT, et le « report » de l’application de la loi 38-2020 qui prévoyait le recrutement de 10 000 chômeurs diplômés de longue durée par an. 

De même les programmes de réduction des effectifs se limitent à un nouveau programme de retraite anticipée et de départs volontaires assortis d’indemnités. Aucune réduction des recrutements n’est évoquée dans le document. Enfin, l’amélioration de la gestion de ressources humaines doit permettre un recours accru au télétravail et une plus grande mobilité au sein du secteur public et vers le secteur privé.

Une réforme progressive du système de compensation des prix, limitée en 2022 aux carburants, est envisagée jusqu’en 2026. 

Seules les subventions aux carburants sont soumises dès cette année à un mécanisme d’ajustement progressif, avec un objectif d’extinction des mécanismes de compensation entre prix de production/importation et prix à la consommation à l’horizon 2026. La révision effective des subventions sur les produits de base, très sensible, n’est envisagée qu’à partir de 2023 jusqu’en 2026, après s’être assuré de la faisabilité de la mise en œuvre concomitante d’un système ciblé d’allocations directes.

La réforme des entreprises publiques s’articule autour de la refonte de la fonction actionnariale de l’Etat, la restructuration financière des EP et la révision de leur gouvernance : 

1) La refonte de la politique actionnariale de l’état devrait se traduire par la réforme de sa stratégie de participation dans les entreprises publique, le renforcement de partenariats avec le secteur privé et la cession des participations non stratégiques. 

2) La restructuration financière des EP suppose 

– l’apurement des dettes entre l’Etat et les entreprises, notamment des dettes croisées dans les secteurs de l’énergie et la santé, 

– un audit du patrimoine des grands établissements publics, 

– la restructuration des dettes bancaires, la réévaluation des actifs et la cession de ceux non nécessaires et, l’établissement d’une politique de couverture des risques de marché et la rationalisation de l’octroi des garanties et soutiens de l’État. 

3) La modernisation de la gouvernance interne des établissements publics appelle à 

– la généralisation de contrats de performance avec l’Etat, 

– la réforme des conditions de nomination et rémunération des dirigeants, 

– la mise en œuvre effective des textes déjà adoptés fixant les principes de sélection et évaluation des administrateurs et 

– la dissociation des fonctions de président et de directeur général. Cet axe a par ailleurs pour but de revoir le cadre légal et réglementaire et les conditions des débats sur les missions externes, et la mise en place d’un système de promotion et de récompenses basé sur la compétence, le mérite et les objectifs.

Enfin, le quatrième pilier de réforme concerne la fiscalité autour de trois axes. 

D’une part, le recours accru à la numérisation doit permettre d’optimiser le recouvrement de l’impôt. D’autres part, des mesures de renforcement de l’efficacité de l’administration fiscale, de rationalisation de la TVA dans ses modalités d’exonération et de collecte, et des campagnes de communication pour améliorer le consentement à l’impôt sont prévues pour limiter niches et évasion fiscale et élargir la base fiscale. 

Enfin, plusieurs mesures visent à établir une fiscalité incitative pour une économie durable (incitations fiscales à la souscription de « crédits verts», au financement d’investissements durables à l’achat de voitures électriques et hybrides).

Pour autant la trajectoire proposée de consolidation budgétaire sur la période 2022-2024 s’avère particulièrement modérée, avec peu d’impact en 2022

La trajectoire de réduction du déficit est limitée sur la période 2022-2024 par rapport à l’ampleur des réformes annoncées ; l’essentiel de l’effort serait reporté à 2024 et au-delà. 

En effet, un retour à l’équilibre budgétaire est programmé pour l’année 2026, scénario peu plausible car il implique un effort de consolidation de 5,3 point de PIB entre 2025 et 2026 contre une réduction de seulement 3 points de PIB de 2022 à 2024 (de 8,3% en 2021 à 5,3% sur la période 2022-2024). 

Dans un contexte de croissance modérée (+2,5% entre 2022 et 2024, et +3,0% d’ici 2026), le maintien d’un déficit primaire significatif de 2,1% du PIB en 2024 hypothèque les perspectives de stabilisation de la trajectoire d’endettement.

Le rythme de réduction des dépenses apparait modéré en 2022 et l’essentiel de l’effort est différé à 2023. 

Les dépenses progresseraient en moyenne de 3,8% par an sur la période 2022-2024, mais encore de 6,6% sur la seule année 2022. Bien que ramenées de 35,3% du PIB en 2021 à 31,1% en 2024 leur poids resterait supérieur à celui de 2019 (29,3% du PIB). Le rythme de croissance annuelle de la masse salariale serait ramené de 10 à 12% par an entre 2011 et 2020 à 4,3% par an entre 2022 et 2024, mais encore 6% cette année. Son poids serait ramené de 16,4% du PIB en 2020 à 15,5% en 2022 et 14,4% d’ici 2024 encore loin du niveau de 10,6% en 2010. 

Les réformes du système de compensation auraient un impact significatif, mais uniquement à partir de 2023. 

Les dépenses d’interventions, qui intègrent les subventions, continueraient d’augmenter cette année (+10,6%) avant de reculer de 8,6% en 2023 puis 3,4% en 2024. Les seules dépenses de subventions des prix seraient ramenées de 11 à 6,8% des dépenses budgétaires et de 3,8 à 2,1% du PIB entre 2020 et 2024. 

Peu d’efforts d’ajustement budgétaire sont planifiés cette année, d’où le faible impact des mesures prévues en 2022, notamment concernant la réduction de la masse salariale (la baisse des effectifs de l’ordre de 1% parallèle à une augmentation de 9,1% du salaire brut moyen annuel par personne). La majorité des réformes structurelles significatives sont reportées à 2023. 

Aucune marge de manœuvre budgétaire supplémentaire n’apparait pour des dépenses d’investissement essentielles à la relance qui stagnent à un faible niveau de 3% PIB entre 2022 et 2024.

La trajectoire des revenus ne traduit pas non plus les effets structurels d’une réforme de fond de la fiscalité synonyme d’élargissement de la base fiscale sur la période 2022-2024. 

Le rebond de 13,5% des recettes fiscales prévu cette année, qui s’essouffle par la suite (hausse de 2% puis 7,3% en 2023 et 2024), ne semble traduire que la projection de nouvelles recettes « conjoncturelles » suite aux mesures de la loi de Finance 2022 telles que la hausse des droits de douanes, la réforme de l’exonération de TVA et les programmes d’amnisties fiscales. 

Alors que l’accroissement des recettes fiscales en 2022 alimente l’essentiel de la réduction du déficit attendu cette année, les projections ne semblent pas intégrer l’impact de réformes fiscales structurelles visant à élargir la base fiscale et renforcer le recouvrement.

Source Ambassade de France en Tunisie, services économiques 

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