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Denys Bédarride
lundi 11 avril 2022 Dernière mise à jour le Lundi 11 Avril 2022 à 06:00

Malgré des dotations naturelles et un parc électrique de premier plan, l’Iran fait face à des pénuries récurrentes d’électricité et de gaz, soulignant en creux les limites énergétiques d’une économie de résistance peinant à tenir ensemble modernisation des infrastructures, demande intérieure, exportations d’énergie et développement industriel.

Détenteur des deuxièmes réserves prouvées de gaz naturel (32 100 Mds m3, 17,1% du total), troisième producteur mondial (250,8 Mds m3, 6,5% du total), l’Iran présentait pourtant une offre intérieure tout juste excédentaire en 2020/2021 (17,7 Mds m3), la différence étant allouée aux exportations, pour l’essentiel par gazoduc, vers la Turquie et l’Irak. 

Malgré la forte baisse des exportations vers l’Irak en 2021/2022, officiellement en raison de différends contractuels, et le recours à la naphte et au gasoil comme substituts du gaz naturel pour l’alimentation des usines pétrochimiques, cette stricte suffisance a été un peu plus fragilisée lors des pics de demande cet hiver, jusqu’à 789 M m3 le 9 janvier 2022, contraignant les autorités à puiser dans les cuves souterraines, à suspendre l’approvisionnement de certaines usines et à réduire les livraisons à la Turquie.

Le nouveau Ministre du Pétrole a engagé un programme d’investissement de 80 Mds $ dans l’amont gazier pour accroître la capacité de production de 850 à 1 500 Mds m3 / an en 2030. Ce programme est réparti entre développement de nouveaux champs (36,4 Mds $), amélioration de la pression sur les champs existants (23,5 Mds $), accroissement des capacités de traitement (8 Mds $), de stockage (3 Mds $), réduction du torchage de gaz (1,2 Md $) et modernisation des gazoducs et des stations de pompage (8 Mds $). 

Iran : Quelle est sa situation en termes de production d’électricité ? Comment faire face à ses besoins en gaz ? 1

Le champ de South Pars (83% de la production actuelle), partagé avec le Qatar et partiellement délaissé depuis les retraits successifs de Total (50,1%) puis CNPC (30%) du consortium pour le développement de la phase 11 en 2018 et 2019, concentre 44,5% des investissements envisagés. Petropars, filiale de la NIOC, a été chargée du développement du champ en propre par la NIOC, et aurait attribué des contrats EPC pour la première étape.

A court terme, la révision des tarifs, l’usage de charges d’alimentation alternatives pour la pétrochimie et la réduction des exportations seront les variables d’ajustement. La NIGC a introduit en novembre 2021 une nouvelle grille tarifaire progressive en fonction des revenus et du niveau de consommation pour les usages résidentiel et commercial (52% de la consommation finale de gaz, cf. annexe 4), sans que celle-ci s’accompagne d’une baisse des subventions associées dans les comptes de la Targeted Subsidy Organization. 

Dans l’aval pétrolier, l’Iran est redevenu importateur net d’essence et accélère le raffinage des condensats réalisé à Siraf et à la Persian Gulf Star (480000 b/j) afin d’alimenter le complexe pétrochimique d’Assalouyeh et de libérer le surplus de gaz naturel pour d’autres usages. A l’export, après avoir équilibré ses exportations de gaz naturel vers la Turquie par des importations quasi-équivalentes depuis le Turkménistan jusqu’en 2016 , l’Iran a réduit puis cessé ces dernières en alléguant des problèmes de paiement, tout en trouvant un nouveau débouché à l’export en Irak à partir de 2017. 

Si les exportations nettes ont atteint jusqu’à 16,6 Mds m3 en 2019, les ambitions régionales de l’Iran ont depuis été entravées par le ralentissement de la production, contraignant même la NIGC à suspendre puis réduire ses exportations à la Turquie à la suite d’un nouveau pic de consommation, le 21 janvier 2022. Le timing ne pouvait être plus mauvais alors que les négociations pour le renouvellement du contrat d’approvisionnement à long terme entre les deux pays, conclu en 2001 pour 25 ans et générant de 1,1 à 2,2 Mds EUR par an pour l’Iran, seraient perturbées par la volonté turque d’accroître ses approvisionnements en GNL.

Alors que l’Iran dispose de la 15e puissance installée électrique mondiale (86 GW à la fin de l’année 2020/2021), le pays a fait face, l’été 2021, à une pénurie sans précédent, caractérisée par un déficit de 11GW entre la puissance mobilisable (55GW) et la demande au pic en juillet 2021 (66GW). Cette situation a entraîné des coupures de courant généralisées et des dégradations sur les stations de transmission secondaires, les transformateurs électriques et le réseau de distribution. 

En réaction, les autorités ont mis en avant des facteurs qui ne jouent qu’un rôle secondaire dans la pénurie, comme l’épisode de sécheresse prolongée alors traversée par le pays, alors que la puissance installée hydroélectrique n’est que de 13 GW, ou le minage de crypto monnaies (600 MW d’après le gestionnaire du réseau).

En premier lieu, le déficit d’investissement sur la longue durée se répercute tant sur le réseau que sur les sources de production, à l’instar des centrales thermiques à gaz (27 GW) présentant un facteur de charge moyen tombé à 30,4% en 2020/2021. 

Après la dissociation au milieu des années 2000 des activités de production, de transmission et de distribution, jusque-là intégrées par l’opérateur historique (TAVANIR), et la création d’un marché de gros pay-as-bid avec un gestionnaire de marché (IGMC), la libéralisation du marché de l’électricité s’est arrêtée au milieu du gué : 

1) l’essentiel des ventes (91,4% en 2020/2021) se fait selon un modèle à acheteur unique inefficient ; 

2) la définition d’un prix plafond correspondant au coût de revient (0,03 $ en 2020/2021) fait de la production pour le marché intérieur une activité non-rentable ; 

3) l’Etat a conservé un monopole sur la vente à l’export, sauf pour les producteurs d’ENR depuis 2019 ; 

4) la privatisation des centrales (55% du parc depuis 2010) s’est faite pour apurer des dettes de l’Etat auprès d’entités non-étatiques sans lien avec l’industrie électrique (e.g. Bank Tejarat), qui font face en sus à une concurrence déloyale (le gaz naturel n’est gratuit que pour les centrales étatiques). Enfin, les subventions à l’électricité représentaient 3,8% du budget de l’État en 2020/2021, encourageant une croissance des usages supérieure à celle de la production.

L’Iran est confronté à court terme à un triangle d’incompatibilité entre 

1) l’ambition d’être le centre d’un marché régional du gaz naturel et de l’électricité, 

2) la nécessité de préserver la paix sociale par le maintien de prix subventionnés pour ces produits, et 

3) le développement de l’appareil exportateur non-pétrolier, central dans le modèle d’économie de résistance. 

Ainsi, si le maintien des exportations de gaz et d’électricité offre à la République islamique un levier dans ses relations de voisinage, surtout avec l’Irak, qui représente 83% du volume d’électricité exporté, ce maintien n’est possible qu’à condition de diminuer les subventions aux usages résidentiels, agricoles et industriels – au risque de provoquer des émeutes (comme en novembre 2019) – ou alors de limiter la production des industries énergivores (métaux, ciment), deuxièmes pourvoyeuses de devises rapatriables après la pétrochimie. En janvier 2022 comme en juillet 2021, l’Iran a tranché en faveur de la paix sociale.

L’Iran fait face à des pénuries saisonnières mais structurelles de gaz et d’électricité. Le gouvernement d’Ebrahim Raïssi semble avoir pris la mesure du problème et déjà corrigé certains excès: l’apurement du passif envers le Turkménistan pour les livraisons de gaz réalisées jusqu’en 2018 a permis la conclusion d’un accord de swap de 2,5 à 3 Mds m3 / an avec Achgabat et l’Azerbaïdjan, afin de répondre aux déséquilibres régionaux et saisonniers d’offre et de demande. 

Source Service Economique de Téhéran Ambassade de France

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