Les récents accords signés entre le Caire, Athènes et Riyad, participent à la construction d’une infrastructure énergétique partagée entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Bien que l’Égypte bénéficie de 20GW d’excédent électrique et affirme ses ambitions en matière d’énergies renouvelables, la forte pression démographique, et l'épuisement de ses champs de gaz historiques, font peser une incertitude sur le paysage énergétique du pays sur le plus long terme.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les projets de connexion du réseau électrique égyptien à l’Europe, à l’Arabie saoudite et aux pays voisins (6 GW de nouvelles capacités d’échanges au total). Ils assureront au Caire une sécurité d’approvisionnement, de nouveaux relais d’exportations tout en ouvrant la voie à une coopération économique régionale accrue.
Dès 2015, l’Égypte entreprend un virage stratégique avec la construction massive d’infrastructures de production d’électricité.
Suite à la révolution de 2011, l’Égypte a traversé une crise énergétique importante qui a conduit à des délestages fréquents jusqu’en 2015. Afin de remédier à cette situation fragile, le gouvernement égyptien à lancé un programme important de constructions d’infrastructures de production d’électricité. Siemens a ainsi participé au développement de trois centrales à gaz à cycle combiné (4,8 GW chacune – mise en service en 2017) et qui ont permis à elle seules une augmentation de la génération d’électricité du pays de 40%, tandis que le parc solaire de Benban (le plus grand au monde au moment de sa mise en service en 2019) a permis de raccorder une capacité supplémentaire de 1,8 GW au réseau. Fin 2020, la capacité installée en Égypte s’établissait à 60 GW, pour une consommation d’environ 40 GW.
La mise en service successive de nouvelles capacités débouche sur un excédent structurel d’électricité, au moins à court terme
Selon le ministère de l’électricité et des énergies renouvelables, la demande en électricité augmentera à un rythme annuel de 3% jusqu’en 2027. Bien que l’Égypte souffre d’une forte pression démographique, la faible industrialisation du pays impliquera un rythme de croissance modéré de la demande en électricité pour les prochaines années, et alors même que de nouvelles capacités (parc solaire de Kom Ombo – 200MW développé par le saoudien ACWA Power ainsi que le parc éolien Ras Ghareb II – 500MW développé par le consortium Engie/Toyota/Orascom) viendront rapidement renforcer l’offre existante.
Conscientes du problème, les autorités souhaitent orienter les nouvelles capacités de renouvelables (hors réseau) vers la production d’hydrogène vert et les usines de dessalement. En parallèle, le Caire souhaite maximiser et valoriser ses sources de génération d’électricité par la construction d’interconnexions électriques (près de 6 GW de capacité d’échange) avec ses voisins qui seront autant de relais à l’échelle continentale (Grèce, Chypre) mais aussi régionale (Lybie, Soudan).
L’accord tripartite Égypte/Grèce/Chypre d’interconnexion du réseau électrique participe à une plus grande intégration économique en Méditerranée orientale…
Le 19 octobre 2021, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, son homologue chypriote Nicos Anastasiades, ainsi que le premier ministre grecque Kyriakos Mitsotakis, ont signé un accord portant sur le raccordement de leurs réseaux électriques, confirmant l’accord préliminaire signé deux ans plus tôt par ces trois pays.
Ce contrat d’une valeur de 4 Mds USD, porté par le consortium « EuroAfrica Interconnector », vise à relier l’Afrique (Égypte) à l’Europe (Chypre et Grèce) par la construction d’interconnexions High Voltage Direct Current (courant continu haute tension) et d’un câble électrique sous-marin.
La première phase du projet, qui requiert 2,4 Mds EUR d’investissement, devrait être achevée à l’horizon 2023 pour une capacité d’échange envisagée de 1 GW. Les sources de financements ne sont pas encore connues mais le montant de l’investissement questionne alors que les marges budgétaires égyptiennes sont faibles. Les bénéfices devraient être mutuels pour l’Égypte et l’Europe en permettant notamment un déphasage des pics énergétiques, une accélération du développement des énergies renouvelables et une diversification des fournisseurs énergétiques.
…tandis que le partenariat égypto-saoudien est renforcé par un accord économique structurant qui ouvre la voie à une intensification des échanges énergétiques avec le Moyen-Orient
La coopération bipartite entre Riyad et le Caire est importante sur le plan économique (30 Mds USD d’investissements saoudiens en Égypte) et commercial (5,5 Mds USD d’échanges en 2020). La signature le 5 octobre 2021 du projet d’interconnexion du réseau électrique saoudien et égyptien réaffirme la volonté du Caire et de Riyad de porter un agenda économique commun.
Le japonais Hitachi Energy, l’égyptien Orascom ainsi que le saoudien SSEM ont remporté l’appel d’offres pour la construction d’une ligne d’une capacité d’échange de 3 GW. L’investissement est estimé à 1,8 Md USD dont 500 MUSD pour la partie égyptienne ; la Banque islamique de développement contribuera également.
Le projet pourrait être opérationnel dès 2025. L’Égypte et l’Arabie saoudite bénéficient d’une saisonnalité différente de leurs pics énergétiques, ouvrant la voie à des échanges énergétiques bénéfiques pour les deux pays. Une volonté commune se dessine concernant le caractère renouvelable que devront prendre ces échanges entre l’Égypte et l’Arabie saoudite, alors que les énergies vertes ne représentent encore qu’une faible part de leur mix énergétique malgré des ambitions fortes en la matière2.
Cet accord permettra à Riyad de diversifier et sécuriser ses importations d’énergie renouvelable tout en diminuant l’empreinte carbone de son mix et en sécurisant l’approvisionnement énergétique de Neom, projet phare de Mohammed Ben Salmane.
L’Égypte cherche à accélérer ses exportations électriques dans la région
Bien que l’Égypte soit reliée aux réseaux électriques libyen, jordanien et soudanais (respectivement depuis 1998, 1999 et 2020), moins de 0,2% de la production d’électricité égyptienne est destinée à l’export. Le Caire envisage aujourd’hui d’augmenter substantiellement ses exportations vers son voisin soudanais en s’appuyant sur la récente interconnexion électrique d’une capacité d’échange de 60 MW, qui devrait être portée à 300 MW à plus long terme (Siemens participe actuellement à la construction de deux stations de stabilisation).
Les exportations vers la Libye ont repris depuis 2015 pour atteindre 482 GWh en 2019. Depuis 1998, les réseaux électriques des deux pays sont reliés par une capacité d’échange de 200 MW, que le gouvernement égyptien souhaite voir porter à 450 MW dans un avenir proche, puis à 1 GW à terme. Enfin, l’Égypte pourrait s’appuyer sur la ligne existante avec la Jordanie, d’une capacité d’échange de 550 MW, pour exporter de l’électricité vers l’Iraq, voire, dans une moindre mesure, vers le Liban (projet sujet à de nombreuses incertitudes). Les exportations égyptiennes vers la Jordanie sont importantes, bien que la tendance soit baissière (300GWh en 2020 contre 1GWh en 2011).
La construction d’une infrastructure d’interconnexion régionale permettra à l’Égypte de valoriser au mieux son excédent de production électrique tout en sécurisant ses sources d’approvisionnement. Elle s’insère dans une politique énergétique plus large qui vise à faire de l’Égypte un « hub » énergétique global (électricité, gaz, potentiellement hydrogène) et permet parallèlement au Caire de renforcer son influence économique dans son espace régional.
Source Service Économique du Caire de l’Ambassade de France
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