Libye : Quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement en céréales ?
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Denys Bédarride
dimanche 17 avril 2022 Dernière mise à jour le Dimanche 17 Avril 2022 à 06:00

La Libye est fortement dépendante (88%) des importations, principalement en provenance d’Ukraine et de Russie, pour ses besoins en céréales. Le système de compensation libyen pour les produits de première nécessité est défaillant depuis 2011 ce qui occasionne des tensions avec les producteurs, affecte leur activité et rend les prix sensibles aux aléas conjoncturels. Les conséquences de la guerre en Ukraine vont donc être significatives sur le pays, alors que les prix des céréales flambent sur le marché international et que l’approvisionnement risque de devenir de plus en plus difficile. 

Ainsi la communauté internationale se montre inquiète pour la sécurité alimentaire de la Libye à l’occasion du Ramadan au cours duquel est attendue une augmentation de la consommation de farine et de blé.

La Libye, dépendante des céréales importées 

Le secteur agricole libyen n’est pas en capacité de produire des céréales en quantité suffisante. L’agriculture reste marginale en Libye où l’économie est dominée par le secteur des hydrocarbures. Les terres cultivables représentent 8,7% de la totalité des terres tandis que le stress hydrique est fort. 

En effet, l’irrigation est assurée par la grande rivière artificielle acheminant l’eau potable pompée dans les nappes phréatiques au sud pour alimenter les terres du nord, cependant cette source n’est pas inépuisable et le réseau a été fortement endommagé par les combats des dix dernières années. Environ 7,5% de la population a abandonné les activités agricoles depuis 2014 alors que 22% de la population active travaillait dans le secteur avant la révolution.

La Libye est dépendante des importations en céréales (88%). Les besoins annuels oscillent entre 1M/t et 1,3M/t de céréales ces dernières années tandis que la production locale est marginale (100.000 tonnes de blé et 70.000 tonnes d’orge). Les besoins d’importation peuvent varier jusqu’à 1,5M/T à 2M/t par an selon les importations de contrebande venues de Tunisie et d’Egypte. Les importations de Russie et d’Ukraine représentaient 43% des livraisons de céréales, à part égale pour l’année 2021.

Depuis 2011, le système de compensation du prix des céréales est défaillant ce qui crée des tensions parmi les propriétaires de moulins et réduit la production de produits de base. Avant 2011, un système de compensation simple était assuré par le Price Stability Fund (PSF) qui était l’acheteur de céréales attitré de l’Etat. Depuis la révolution, la structure du marché libyen a changé passant d’un marché d’importation de farine à un marché d’achat de farine en local laissant aux moulins privés locaux le soin d’importer eux même le blé et/ou la farine. 

Ces derniers ne souhaitent plus aujourd’hui assurer la production de farine après avoir longtemps financé eux-mêmes les importations de blé sans compensation. Sur les 67 moulins du pays, seuls 10 fonctionnent encore aujourd’hui. Désormais, faute de budget de l’Etat depuis la fin des années 2010, le système de compensation est assuré par la Banque Centrale via un système de taux de change préférentiel pour les importations céréalières faites en devise. 

Cependant ce mécanisme a un impact relativement faible sur le prix final des produits de base. Par ailleurs, la compensation a été complexifiée par la division de la Banque Centrale ainsi que par la multitude d’importateurs du secteur privé palliant l’absence du PSF et rendant difficile la traçabilité des quantités de céréales achetées et des prix pratiqués.

Le faible encadrement des prix conjugué à la réduction de la production provoque des tensions d’approvisionnement en produit de base et impacte le pouvoir d’achat des libyens. Faute d’être à la manœuvre pour l’achat des céréales, le gouvernement n’est plus en capacité de réguler les prix auprès des producteurs de produits de base. 

La forte détérioration du mécanisme de compensation, désormais quasi- inexistant, et la baisse de la production liée à la situation des propriétaires de moulins – en conflit avec l’Etat ou incapable de financer les importations – rendent les prix sensibles à la conjoncture au détriment du pouvoir d’achat des Libyens. Le prix du pain a quasiment triplé2 depuis juillet 2021 à cause de la hausse exponentielle du prix du blé et du pétrole impactant le coût du transport des céréales.

La crise ukrainienne met en danger la sécurité alimentaire de la Libye 

Libye : Quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement en céréales ? 1

Le gouvernement s’est montré rassurant concernant les stocks stratégiques de céréales, toutefois sa crédibilité est remise en cause et sa capacité d’intervention reste limitée. Le ministre de l’économie et du commerce du Gouvernement d’Unité Nationale, M. El Haweij, a déclaré fin février que les réserves de blé devraient être suffisantes pendant plus d’un an avec des stocks existants de plus de 400.000 tonnes, des livraisons en cours d’environ 500.000 tonnes et des livraisons russo-ukrainiennes remplacées par des céréales provenant d’autres pays. 

Cependant, cette version est contestée par le président du syndicat des boulangers, selon lequel les stocks actuels ne dureront que 3 mois au maximum le principal problème étant moins la quantité des stocks que la spéculation instiguée par les propriétaires de moulins constituant des stocks et créant des pénuries artificielles qui se répercutent sur le prix du pain et de la farine. 

Or la capacité de réaction du gouvernement à lutter contre le phénomène de spéculation s’avère limitée, bien qu’A. Dbeiba, ex-premier ministre, ait annoncé vouloir lutter contre la spéculation. 

Par ailleurs, les nouvelles commandes risquent de mettre du temps à arriver (éloignement de l’Argentine et de l’Uruguay, difficultés pour les bateaux venant de Roumanie à circuler en Mer Noire à proximité des zones de conflit ou à franchir le Bosphore), tandis que l’Egypte, autre principal fournisseur en farine de la Libye, a déclaré suspendre ses exportations en produits de base –y compris la farine- pour les trois prochains mois afin de sécuriser l’approvisionnement national.

Les institutions internationales craignent pour la sécurité alimentaire libyenne. Même si la Russie approvisionnerait encore l’Egypte et pourrait continuer à fournir la Libye, l’approvisionnement est perturbé par le conflit ukrainien tant logistiquement que financièrement. Par ailleurs, le système de compensation défaillant ne protège plus la population des variations du prix. 

En conséquence, la Libye a été incluse par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) dans la liste des pays dont la sécurité alimentaire est menacée par le conflit ukrainien et la hausse des prix internationaux des denrées alimentaires.

Source Ambassade de France en Libye 

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