Déjà dépassé par le monde francophone au début des années 2010, le monde hispanophone vient d’être également dépassé par l’espace arabophone dont la population totale a atteint 481,7 millions d’habitants mi-2023. L’émergence démographique du monde arabophone, deuxième espace linguistique le plus dynamique au monde, devrait se poursuivre au cours des quelques prochaines décennies alors que l’espace hispanophone devrait progresser plus lentement que la moyenne mondiale. Analyse.
A partir de données essentiellement publiées en décembre dernier par le PRB (Population Reference Bureau, organisme privé américain et une des références mondiales en matière de démographie), la population du monde arabophone est estimée à 481,7 millions d’habitants au 1er juillet 2023, en hausse de 1,9 % sur un an (soit + 9,0 millions), contre 480,4 millions pour l’espace hispanophone (+ 0,9 %, ou 4,1 millions). Ainsi, et selon ces données, la population du monde arabophone aurait dépassé celle du monde hispanophone au cours du premier trimestre de l’année 2023, et plus précisément au mois de mars.
Ces estimations démographiques correspondent aux espaces composés, respectivement, de pays et territoires réellement arabophones et hispanophones, c’est-à-dire où l’arabe et l’espagnol sont, seuls ou avec une autre langue, la langue de l’administration, de l’éducation, des affaires et des médias pour l’ensemble de la population, ou au moins la langue maternelle ou véhiculaire d’une population majoritaire sur le territoire concerné, où elle est historiquement et/ou durablement présente.
Les pays et territoires où l’arabe ou l’espagnol est enseigné obligatoirement, mais qui ne répondent pas aux critères précédemment cités, ne peuvent être pris en compte, puisque la langue concernée n’y est alors enseignée qu’en tant que simple langue étrangère.
481,7 millions d’habitants mi-2023 pour le monde arabophone
L’espace arabophone, qui s’étend sur deux continents, recouvre ainsi l’intégralité de 20 pays ayant l’arabe pour langue officielle, seul ou avec une autre langue locale (à savoir le tamazight en Algérie et au Maroc, le kurde en Irak et le somali en Somalie), auxquels s’ajoutent les importantes parties arabophones de deux pays (le Tchad et l’Érythrée), et les territoires arabophones de faible importance présents dans neuf autres pays (Mali, Niger, Cameroun, Nigeria, République centrafricaine, Soudan du Sud, Iran, Turquie et Israël).
L’arabe est d’ailleurs une langue maternelle ou véhiculaire pour environ 60 % de la population tchadienne (principalement dans le centre et le nord du pays), et une langue véhiculaire pour environ un tiers de la population érythréenne (principalement dans les deux régions administratives côtières et près de la frontière soudanaise, avec la présence d’une très petite minorité l’ayant également pour langue maternelle).
Avec une croissance de 1,9 % sur un an, largement supérieure à celle du monde hispanophone (0,9 %), le monde arabophone est ainsi le deuxième espace linguistique le plus dynamique de la planète, après l’espace francophone dont la population s’élève à 563,4 millions d’habitants mi-2023, en hausse de 2,1 %. S’étendant sur quatre continents, ce dernier rassemble de nombreux pays et territoires, dont notamment cinq pays faisant aussi partie, totalement ou majoritairement, de l’espace arabophone (la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et le Tchad).
Grâce à son dynamisme, et à partir de données historiques essentiellement fournies par l’ONU, le monde arabophone a multiplié sa population par 5,4 entre 1950 et 2023, passant de 74,9 millions d’habitants à 481,7 millions, tandis que l’espace hispanophone a multiplié la sienne par 3,5, en passant de 136,5 millions d’habitants à 480,4 millions. Sur la même période, la population mondiale a été multipliée par 3,2.
Entre mi-2022 et mi-2023, et selon les données du PRB, le taux de fécondité global du monde arabophone s’est établi à 3,2 enfants par femme, contre seulement 1,8 pour l’espace hispanophone. Comme pour l’espace francophone (4,2), le taux de fécondité de l’espace arabophone est également en baisse continue.
Les cinq pays arabophones les plus peuplés sont l’Égypte (105,2 millions mi-2023), le Soudan (48,1 millions), l’Algérie (46,8), l’Irak (45,5) et le Maroc (37,6). Ainsi, il est à noter que l’Algérie a récemment perdu sa deuxième place qu’elle occupait après avoir dépassé le Maroc en 1986. Les cinq pays totalement ou majoritairement arabophones ayant enregistré la croissance démographique la plus élevée, hors mouvements de réfugiés, sont la Somalie (3,2 %), la Mauritanie (3,2 %), le Tchad (3,1 %), le Soudan (2,6 %) et la Palestine occupée (2,5 %).
480,4 millions d’habitants mi-2023 pour le monde hispanophone
Quant à l’espace hispanophone, qui s’étend sur trois continents, celui-ci regroupe les populations des 20 pays ayant l’espagnol pour langue officielle ou co-officielle et du territoire insulaire américain de Porto Rico (où l’espagnol est également la langue officielle – avec l’anglais – et la langue maternelle de la quasi-totalité de la population), auxquelles il est éventuellement possible d’ajouter les populations hispanophones majoritaires des territoires américains frontaliers avec le Mexique, ainsi que celles des territoires béliziens frontaliers avec le Guatemala et le Mexique.
Avec une croissance de 0,9 % et un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme (1,9 pour sa partie américaine), la population du monde hispanophone a atteint 480,4 millions d’habitants mi-2023, et a ainsi été multipliée par 3,5 depuis 1950, lorsqu’elle s’élevait à 136,5 millions. Une progression résultant essentiellement d’une natalité assez élevée dans la deuxième moitié du 20e siècle. Les cinq pays les plus peuplés sont le Mexique (131 millions d’habitants), la Colombie (52,2), l’Espagne (48,3), l’Argentine (46,3) et le Pérou (33,8).
À elle seule, l’Amérique hispanophone regroupe la quasi-totalité de cet espace linguistique, dont elle concentre 89,6 % de la population totale. En effet, l’Espagne et la Guinée équatoriale sont les seuls pays se situant à l’extérieur du continent américain.
Hors mouvements de réfugiés, les taux de croissance démographique les plus élevés ont été enregistrés en Guinée équatoriale (2,3 %), et, assez loin derrière, au Guatemala (1,4 %) et au Honduras (1,4 %). Quant aux taux de fécondité les plus élevés, ils ont été observés en Guinée équatoriale (4,2 enfants par femme), en Bolivie (2,5), au Guatemala (2,4) et au Paraguay (2,4). Par ailleurs, il est à noter que la partie européenne de l’espace hispanophone connaît une situation dramatique au niveau de la natalité, avec un taux de fécondité de seulement 1,1 enfant par femme en Espagne.
Cependant, ce pays a connu dans le même temps une croissance démographique légèrement supérieure à la moyenne de l’ensemble du monde hispanophone (1,1 %), qui s’explique par une immigration massive et reposant en bonne partie sur un transfert de population en provenance d’Amérique hispanique, entamé depuis déjà plusieurs années.
Des perspectives démographiques différentes
À partir, essentiellement, des dernières projections publiées par l’ONU, en juillet 2022 (et qu’il convient toujours de prendre avec précaution, compte tenu des évolutions souvent inattendues en matière de démographie), la population du monde hispanophone devrait augmenter assez modestement au cours des prochaines décennies, et à un rythme inférieur à la moyenne mondiale, pour atteindre un total de 547 millions d’individus mi-2060 (soit une hausse de 14 % par rapport aux projections onusiennes pour mi-2023, contre 25 % pour la population mondiale). Dans le même temps, le monde arabophone devrait poursuivre son émergence démographique en atteignant 795 millions d’habitants (soit une hausse de 63 %).
D’ailleurs, et compte tenu des données disponibles les plus récentes, essentiellement auprès du PRB, la population de ce dernier ensemble peut être estimée à environ 486,2 millions d’habitants début 2024, commençant ainsi à creuser l’écart avec celle du monde hispanophone, qui peut être estimée à 482,4 millions. Enfin, l’espace hispanophone atteindrait son pic démographique vers 2060, avant de décroître progressivement, alors que la population du monde arabophone continuerait à augmenter au-delà de cette date, mais bien moins rapidement.
Le monde arabophone devra donc faire face à un certain nombre de défis pour absorber sa croissance démographique, et en particulier dans les pays, hélas assez nombreux, connaissant de graves troubles sécuritaires, liés à la guerre civile ou au terrorisme (Soudan, Somalie, Yémen, Syrie, Irak et Libye). Du côté hispanophone, le ralentissement considérable de la croissance démographique n’a pas empêché de nombreux pays de connaître de très graves crises économiques, comme le Venezuela et l’Argentine. En Amérique centrale, certains pays ont une économie si faible qu’ils sont même en train de se faire dépasser par des pays d’Afrique subsaharienne en matière de PIB par habitant, et notamment d’Afrique francophone, partie la plus dynamique du continent africain.
Ainsi, la Côte d’Ivoire, récemment devenue le pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest continentale, malgré des richesses naturelles non renouvelables considérablement inférieures à celle du Ghana et du Nigeria (le pays ayant extrait trois à quatre fois moins d’or et six fois moins de pétrole que le Ghana au cours des dix dernières années, et 40 à 60 fois moins de pétrole que le Nigeria au cours de la même période), a également dépassé le Nicaragua avec un PIB par habitant de 2 486 dollars début 2023, contre 2 255 dollars, selon les dernières données de la Banque mondiale. À ce stade, la Côte d’Ivoire est ainsi le seul pays africain aux richesses naturelles assez modestes à dépasser un pays d’Amérique hispanique (hors très petit pays africains de moins d’1,5 million d’habitants).
Source : Ilyes Zouari, Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)
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